The Cost
C’est étrange la vie d’un jeu que l’on évalue. Le dernier en date était considéré comme Expert par l’éditeur, tout en ne voulant pas qu’il participe à l’EGA, car non calibré à ses yeux pour recevoir un prix. Il aura fallu expliquer que l’EGA n’a pas les œillères d’autres concours, preuve en est avec des finalistes comme Pax Transhumanity ou Tudor. Le résultat des premières parties est qu’il est déjà considéré comme un potentiel Evaluator’s Choice s’il ne termine pas dans le dernier carré. S’il finit dans notre WE final on pourra se dire « Il aurait dû ne même pas être joué »…
The Cost est le deuxième jeu expert édité par SpielworXX cette année (après The Grand Trunk Journey). Il est l’œuvre de Armando Canales dont c’est le deuxième jeu, après Conflict of Plants en autoédition, mais qui est plus connu outre-Atlantique pour avoir créé et toujours animer le groupe FB « The Boardgame Group » fort de plus de 44.000 membres 😊. C’est le prolifique Harald Lieske (Les colons de Catane, Les Châteaux de Bourgogne, Puerto Rico, …) qui s’est occupé des illustrations.
La première chose qui interpelle dans The Cost est son thème fort et moralisateur. On parle ici des méfaits de l’Asbeste (famille de minéraux qui inclut l’amiante) dont l’extraction et exploitation ont provoqué de nombreux morts à travers le monde. Le propos visé par l’auteur est que malgré une reconnaissance de son potentiel mortel les pays ont continué à l’utiliser, accumulant les décès durant des années, jusqu’à ce que la pression mortelle finisse par en interdire purement son usage. La morale (à lire en fin de jeu) est que l’économie prime sur la santé des gens et que les joueurs auront, eux aussi, laissé mourir des ouvriers pour parvenir à leurs fins monétaires.
Le thème est mis en place avec 4 pays fictifs qui acceptent le commerce d’Asbeste et disposent d’endroits pour des mines, des usines, des ports, le tout relié par des chemins de fers. Durant les 4 manches, les joueurs passeront par 4 phases :
– Construction dans un pays : Acquisition d’un jeton faisant évoluer le prix des subsides du pays, placé entre 3 hexagones du plateau commun afin d’en activer les effets (constructions éventuelles de mine, usine, route ou port plus augmenter ses ressources).
– Transformation de l’argent en ressource d’un pays : Selon le cours actuel des subsides
– Activation de ses bâtiments : En tour par tour, on mine, transforme ou déplace (et vend) son Asbeste. Si l’on ne sait pas le faire, on alors le droit d’acheter des avantages ou de passer. Au tour où les joueurs ne peuvent faire une de ces 3 actions de base, on termine la phase.
– Le nettoyage habituel du plateau avant le tour suivant.
L’argent représente les PV de fin de jeu, mais toutes les dépenses liées à un pays sont payées en ressources locales, dont le taux (valeur contre 1 dollar) varie (à la baisse) sur le temps et les développements dans le pays. Vous devrez anticiper sur vos futurs développements en disposant de suffisamment de ressources dans le pays visé.
Lorsque vous utiliserez vos usines ou vos mines pour produire un nombre de ressources (représentés par un dé), vous aurez un choix crucial à faire. Travaillerez-vous avec ou sans sécurité. « Sans » un de vos ouvriers mourra par manque d’équipement de protection. « Avec » vous payerez 2 ressources du pays où elle se situe par ouvrier… vivant ou mort ! Si vous n’avez pas les moyens, ou l’envie, les morts pleuvront, limitant à chaque fois la vente possible d’Asbeste raffiné sur le marché local jusqu’à ce que le pays se ferme définitivement, enlevant les constructions de chaque joueur.
C’est évidemment la production / vente d’Asbeste qui vous rapportera de l’argent/PV, mais pas uniquement et c’est là qu’est toute la spécificité du jeu. Les produits créés/transformés doivent être transportés pour qu’ils deviennent de l’argent. Lors de ce transport, à chaque passage sur un rail ou utilisation d’un port, le joueur propriétaire gagne de l’argent. Le chemin pris n’est pas optionnel et une règle de priorité fait que l’on prend parfois le chemin le plus long pour atteindre son but. A vous de construire avec le meilleur placement pour engranger de l’argent sur les actions des autres joueurs.
Des bonus associés à un type ou l’autre d’action permettent d’augmenter les revenus ou sa production. Ils varient selon le choix pris dans les constructions des usines/mines. C’est peut-être plus instable de s’assurer de leur pérennité, mais des mécanismes existent dans ce sens. Les joueurs n’ayant plus d’actions de base à prendre (miner, transformer, déplacer) peuvent développer leur plateau personnel pour gagner en priorité dans les déplacements ou améliorer sa vente/production.
Si rien de ce qui est expliqué ci-dessus n’est compliqué, tout l’apprentissage réside dans le placement optimum de ses constructions. Il faut anticiper sur les actions des autres joueurs et les forcer à utiliser vos rails et ports, tout en les utilisant vous-même. Alors que dans les premières parties on se bat pour être premier joueur, on apprend avec le temps les bienfaits du dernier devant se placer sur le plateau, changeant subitement la donne dans les déplacements prévu des joueurs quand ils ne peuvent plus rien y faire.
The Cost offre une sensation de jeu différente des produits habituels, tant par son propos que par sa gestion du placement. C’est cette différence qui donne du plaisir aux gens, tout en n’hésitant pas à fustiger les exploitants qui décident de ne pas payer pour sauver des ouvriers. Pourtant faire mourir volontairement des travailleurs méritant dans un pays où l’on est peu présent est tout aussi important que de casser des chemins privilégiés de joueurs un peu trop puissants.
On regrettera quelques couacs de production (jetons recto-verso n’ayant pas le même n°, règles papiers auxquelles il manque des bouts de phrase par rapport à la version pdf) et un visuel qui ne parle pas directement à qui le découvre.
Malgré ces détails, The Cost vous offre une vraie proposition hors des sentiers battus, qui vous demandera plusieurs parties (de préférence avec les mêmes joueurs) pour vous adapter à lui et profiter de ses forces. Si vous cherchez autre chose que les collectes-contrats et aimez avoir une morale à un jeu, n’allez pas plus loin.