Stationfall
J’aime bien quand en pitch on m’annonce un jeu différent, aux règles complexes mais cohérentes, rapide mais immersif, qui propose un voyage plus qu’une salade de points et la possibilité de jouer de 3 à 9 ! « Un party game pour joueur expert » ont clamé certains. Avec autant de bonne pub, il fallait que la sauce prenne dès les premiers instants ou c’était l’explosion d’un soufflé assuré…
Stationfall est un nouveau jeu de Matt Eklund évidemment édité chez Ion Game Design. Trois illustrateurs se relaient pour la floppée de personnages du jeu : Madeleine Fjäll (Pax Vikings, Bios Mesaufauna), Anne Isaksson (qui sort sa première signature pour des jeux mais pas la dernière puisqu’on la retrouvera sur Pax Hispanica) et Josefin Strand (Pax Renaissance, Galenus).
Dans Stationfall, le pitch est vite fait : Dans 14 minutes (variable selon les joueurs) le vaisseau explosera, il est temps de finir vos affaires avant de fuir (ou pas). Chaque minute est une manche et dans chaque manche on fera 2 actions (+1 bonus) avec un des X (variable, mais disons 12 pour 4 joueurs) personnages en jeu.
Chaque joueur dispose d’un personnage caché (qui est celui qu’il représente, à choisir parmi deux cartes, sachant qu’on peut changer d’avis entre les 2 cartes au moment de se révéler) qui a un agenda spécifique pour lui scorer en fin de partie. Tout le monde connaît les objectifs de chaque personnage présent et, selon les actions exécutées par les joueurs, on peut essayer de deviner qui est derrière chacun.
A chaque tour, on pourra jouer un personnage de notre choix, sur lequel on a placé un ou plusieurs cubes d’influence pour indiquer qu’il fait partie de notre « alliance ». C’est un peu comme Koh-Lanta, où chacun a des forces et des faiblesses que l’on va utiliser tout en faisant croire que celui qui prend les décisions peu glorieuses c’est l’autre… Il est tout à fait possible de ne jamais placer de cube d’influence sur son vrai personnage tout en exécutant ses objectifs par d’autres. En cela les personnages ne sont pas tous équivalents (on ne peut pas dire que l’équilibre soit recherché dans un jeu plutôt chaotique), ce qui facilite certains rôles sur d’autres.
Dans le grand vaisseau du jeu, on pourra faire des actions assez « normales » : Se déplacer, prendre, déposer, donner, lancer, voler, attaquer, activer la fonction de la pièce. L’action bonus étant de prendre ou de déposer quelque chose, bien que certains personnages (une fois révélé par leur propriétaire) aient des variantes supplémentaires. On trouvera dans le vaisseau des objets usuels : clé à molette et révolver pour détruire des pièces ou des autres personnages ; un casque pour se défendre de la clé à molette et sortir dans l’espace ; une mallette de cash ou un artefact pour ramener un souvenir sur terre ; un medkit pour soigner les blessés ; des renseignements (Data) divers pour révéler ce qui se passe dans l’espace ; des preuves pour menacer des personnages ; une bombe incendiaire pour mettre l’ambiance… 😊
Vous imaginez vite que l’on pourra vite commencer à se faire des bisous à coup de clé à molette histoire de dérider l’ambiance. Sauf qu’il y a les caméras et que l’on est vite reconnu coupable pour peu que l’on lâche par inadvertance une bombe incendiaire dans un couloir plein de gens. Mais si quelqu’un venait à les couper, ou plus efficacement à détruire une des pièces énergétiques, il n’y aura plus de preuves et tout le monde pourra s’en donner à cœur joie. Idem pour les brouilleurs qui empêchent de transmettre dans le vaisseau les data collectées, comme celles sur le projet X caché dans les entrailles du vaisseau. Si l’on pouvait les transmettre à la terre « pour qu’ils sachent »….
Il y a ainsi une floppée de possibilités dans les pièces du vaisseau et comme on joue un peu n’importe qui (dans la limite de son influence), on profite des actions du joueur précédent pour avancer vers nos objectifs. Une limitation cependant, si un personnage est trop demandé (plusieurs joueurs veulent le manipuler), il sera fatigué et exécutera une action de moins lors de notre tour. Ceci pour favoriser l’utilisation de chacun.
Quand l’abandon du vaisseau sera annoncé (coupure des lumières, libération du projet X, activation de l’autodestruction,…) les navettes de sauvetage seront accessibles et il faudra se presser pour monter à bord et les faire partir. Certains personnage veulent périr dans la station (folie, androïde, gloire,…) donc tous ne veulent pas sortir, voire ne veulent pas que d’autres sortent. Il faut donc composer avec tous et éliminer au passage quelques personnes pouvant être celui contrôlé par les autres joueurs.
Une fois le vaisseau explosé, on comptabilisera les objectifs de chacun (tous seront dévoilés) et le meilleur l’emportera. Il n’est pas rare que des PV soient réalisés par les actions des autres joueurs, qui vous l’offrent ainsi sans que vous ayez levé le petit doigt. Ce n’est pas le genre de jeu qui récompense le meilleur joueur, et en un sens l’objectif ne devrait pas être les PV, alors que c’est ce que chacun vise durant la partie. Mais comme je l’ai écrit plus haut, l’équilibre des personnages est secondaire…
Avec plus d’une vingtaine de personnages possible dans le jeu et un peu moins d’une dizaine de projet X à dévoiler, on se dit qu’il y a de quoi faire pour mixer tout ceci et vivre de palpitantes aventures pleine de rebondissement. C’est vrai et pourtant… Alors que je me hype moi-même en écrivant ces mots, je me rappelle de tout ce qui est moins fun dans le jeu.
L’installation est « une purge » (pour utiliser l’expression chère à certains 😊 ). Il faut trouver les cartes qui collent avec les personnages du jour, leur matos, leur position sur le vaisseau, leur « Kompromat » (matériel compromettant permettant de jouer une action avec un des personnage du vaisseau en one shot). Mettre le tout sur le vaisseau et faire un petit topo de chacun tandis que l’on choisi son personnage de la partie.
Les règles sont lourdes (une habitude chez les Eklund) et, si franchement elles étaient cette fois assez bien expliquées, il faudra compter facilement 1h15 pour votre première explication tant il y a des détails. Ce qui ne vous dispensera pas de plonger dans le glossaire pour aller chercher des détails d’actions combinées ou hors normes (il y a tant de possibilité dans le jeu).
L’ambiance est molle et les 45 minutes vendues par certains ne sont qu’un doux rêve (la boite annonce d’ailleurs 90-120) et les 2 heures de jeu sont un minimum si l’on va au bout du décompte avant explosion. Oui, on utilise qui on veux, mais il y a vite de l’AP quand certains cherchent à trouver la meilleure manière de réaliser leurs objectifs en restant caché, tout en cherchant qui est le personnage masqué des autres. Il y a plein de possibilités de bloquer le jeu, en tuant un peu tout le monde ou en rendant une partie du vaisseau inaccessible, qui rendra peu d’option de jeu pour tous.
Alors, oui, il y aura plein d’autres parties avec des moments épiques comme un 4×100 mètres entre les joueurs pour balancer dans l’espace l’antimatière que l’on a extrait du réacteur, pour qu’elle explose dehors et pas dedans. Comme une course pour fuir le monstrueux projet X libéré par un androïde instable. Mais pour une aventure épique, combien seront plate ? La mise en place vaut-elle le risque de passer 2 heures à se traîner dans un mouroir ? Si l’on était assuré de jouer en 45 minutes et en enchaîner deux en 3 heures (rangement inclus), sans doute, mais c’est une option qui n’arrivera qu’avec un type de joueurs et un certain détachement sur les objectifs juste pour foutre le bordel et se marrer. C’est rarement l’optique qu’a un joueur Expert et le jeu est trop complexe pour attirer à lui les joueurs Casu vu le temps de règle et mise en place…
Pourtant, malgré ses défauts, le jeu me fait envie, car il me fait toujours espérer de vivre LA PARTIE. Celle qui sera épique et dont je me souviendrai longtemps, bien plus que toutes celles bien ficelées des jeux aux règles évidentes et à la mécanique huilée. Je sais que je ne la vivrai peut-être jamais, mais l’aventure qu’il me propose sur le carton me semble attirante, hypnotique et je peux me laisser retenter plusieurs fois (de préférence sans explication ni installation), quitte a regretter à mi-parcours lorsque les actions possibles se réduiront au soleil. Mais j’aurai au moins essayé de la vivre.