Revive
J’ai l’impression qu’aujourd’hui les auteurs ou éditeurs de jeux ont oublié que notre place à table était limitée. Après les boîtes aux tailles non standard que l’on peine à mettre dans nos armoires, c’est bientôt la table qui devra subir des extensions (en espérant que les tables de joueurs « sur mesure » ont prévu cette explosion de taille). Avant on avait un plateau central, accessible à tous, et éventuellement un petit plateau joueur ou un simple cache pour nos ressources. Désormais c’est plateau central prenant déjà toute la largeur de la table, plus un ou deux plateaux joueurs pour faire bonne figure. Quelle sera la limite ?
Revive est édité par le norvégien Aporta Games (VO), tandis que Matagot fournira la VF en mai 2023. C’est une brochette d’auteurs qui co-signe le jeu : Helge Meissner, Anna Wermlund et Elif Svensson une fois de plus associé à Kristian Amundsen Ostby (les deux nous ont déjà fourni Santa Maria et The Magnificent entre autre). Pour les illustrations ce sont Gjermund Bohne, Martin Mottet (les deux qui ont déjà travaillé sur Maginifent) et Dan Roff (qui signe son premier jeu illustré).
Une fois de plus, l’homme a détruit son environnement et on a droit à un hiver polaire. Les tribus qui se cachent en sous-sol vont sortir pour essayer de reprendre possession de la planète. Pour ce faire on dispose d’un plateau personnel avec des développements possibles sur 3 voies, un arbre de savoir libéré par notre population qui retrouve d’anciens savoirs des villes visitées et de quoi installer des camps de diverses tailles. Le plateau commun est une carte à explorer, sur laquelle on va s’étendre et collecter du savoir. Globalement c’est un 3X puisqu’il manque la partie extermination des autres joueurs.
Mais Revive n’est pas simplement un placement de troupes pour conquérir, car la base de son jeu est lié à des cartes (des travailleurs) que l’on jouera de sa main autour du plateau de jeu. Ces cartes ont un pouvoir en haut et en bas, mais on ne pourra activer que l’un ou l’autre (selon sa place autour du plateau). Un système de tablettes bonus et de cartes superposables permettront de maximiser les bonus récoltés par l’usage des cartes. Mais comme les emplacements sont limités, il faudra parfois faire place nette via un tour d’hibernation qui fera une rotation entre les cartes défaussées précédemment et celles autour de votre plateau de jeu.
A votre tour vous pourrez réaliser deux actions, à choisir parmi :
- Jouer une carte
- Copier le haut d’une carte d’un autre joueur (mode avancé, sinon juste collecter une ressource)
- Construire une maison (simple ou double) : cela améliore notre plateau personnel et/ou rapporte des bonus
- Envoyer une personne en ville : libère le savoir de notre tribu
- Découvre une tuile : apporte de nouveaux travailleurs et des PV
Dans l’absolu il y a donc le choix entre collecter des ressources (3 types + 1 joker) via les cartes et celui de prendre position sur le plateau commun. Outre le coût à payer pour les actions sur le plateau, il y a une notion de distance entre l’endroit où vous faites l’action et votre position actuelle. Si l’on construit de manière adjacente à une de vos propre pièces il n’y a pas de surcoût, sinon vous débourserez une nourriture par case traversée.
Comme il est évident qu’en découvrant une nouvelle tuile vous mettrez à jour des endroits plus intéressants que d’autres, vous veillerez à faire dans le même tour découverte + placement de maison, pour peu d’avoir assez de ressources disponible. Du coup, il faut sans cesse osciller entre l’entreposage de ressources et leur dépense, en « sentant » si vous pouvez encore temporiser un tour ou si un adversaire va prendre sous votre nez un emplacement, une tuile, une carte, une découverte… visée. Parfois l’impact sur une temporisation de trop signifie la destruction d’un plan prévu sur plusieurs tours et il faudra revoir ses options. C’est de la tension non violente, l’interaction appréciable dans un jeu.
En début de partie, chaque joueur dispose d’une carte d’objectif pour maximiser ses PV selon ses développements. Ceux-ci seront multipliés par le biais de cartes artefact (3 couleurs possible) que l’on récupérera à plusieurs étapes de son développement. La course aux artefacts feront que certains en auront plus que d’autres et qu’il ne sera peut-être pas possible de récupérer la couleur que l’on aurait aimé pour ces derniers. La disparition des artefacts provoquera le déclencheur de fin de partie, les autres joueurs faisant un dernier coup. Pas d’équité possible dans le nombre d’action pour chaque joueur sauf si c’est le premier joueur qui met fin au jeu (ce qui reste un avantage dans les multiplicateurs).
Le développement du plateau de chaque joueur lui permettra de libérer des machines qui s’activeront avec de l’énergie. Quelques-unes sont fixes tandis que d’autres seront choisies lors de leur libération. Quelques combos sont très intéressantes dans le domaine. Ces pistes sont liées à 3 couleurs, représentant les 3 types de terrains du jeu. Construire des maisons vous fera progresser dans ces pistes selon les couleurs de terrains adjacents. Par ailleurs, placer des personnes en ville vous permettra de libérer des pouvoirs dans votre tribu selon un arbre de développement qui est propre à chacun.
Revive est asymétrique puisque chaque joueur dispose d’un clan aux pouvoirs sensiblement différents, avec une face A et B, la B étant plus complexe que la A. Comme souvent avec les jeux aux plateaux joueurs asymétriques, on finit par trouver qu’une est plus forte/faible que les autres. Revive ne fait pas exception à la règle. Vrai ou faux (j’ai toujours du mal à imaginer qu’un auteur n’ai pas vu en 100 parties ce qui nous semble tellement évident après seulement 2 😀 ), il n’en reste que certains décideront vite de mettre au ban des clans possibles celui qu’il n’arrive pas à battre. Je suis plus modéré en imaginant que c’est un manque de connaissance et de contre utilisé dans le jeu qui rend un clan plus fort qu’un autre. Respect du développement de l’auteur sans doute.
Quand le jeu sera maitrisé, les joueurs se rendront compte de la course aux artefacts et les points dans le domaine seront plus équilibrés, tandis qu’une certaine frustration émergera du jeu. Le sentiment que la partie se termine quand on va « enfin » profiter de son développement est couramment cité par les joueurs qui découvrent Revive. Car si les premiers artefacts tombent lentement et plus ou moins dans le même tour, les derniers partent parfois sur deux joueurs et la fin du jeu est alors brutale. Ne plus avoir de ressource ou devoir hiberner pour le dernier coup est synonyme d’intense frustration. Mauvaise gestion diront certains.
Je regrette deux choses dans le jeu. Premièrement une part d’aléatoire (dans les tuiles bonus, les cartes à disposition) non gérable, qui fait qu’une chose n’apparaît jamais pour vous, même si vous êtes prêt, organisé, afin de pouvoir sauter dessus si disponible. La deuxième est lié au premier joueur, pouvant prendre les premières places de valeur ou avoir un coup de plus que les autres. Les jeux à nombre de tour non équitable me gênent toujours un peu. Mais ces deux choses ne m’empêchent pas de passer du bon temps à chaque partie, cherchant de développer ma tribu, mes machines ou mon placement selon les jours.
Revive a ce côté « reviens-y pour voir » où l’on a envie de partir sur un nouveau développement, une nouvelle tribu ou une combinaison de cartes. Il est très gratifiant de se voir se développer… avant la frustration de la fin de partie soudaine. Mais on l’oublie vite pour désirer à nouveau partir sur un développement nouveau, signe que la frustration temporaire ne prime pas sur le plaisir de jeu.