Dominations : Road to Civilization

Si on a l’habitude de voir des tuiles carrées ou hexagonales, celles en triangles ne m’ont pas marquées dans mon expérience ludique, excepté le légendaire Triomino. Aussi, voir arriver un jeu, qui plus est de civilisation, se basant sur des tuiles triangulaires, ne peut que titiller ma curiosité, voire mon intérêt.
Dominations : Road to Civilization est un jeu de Eric Dubus et Olivier Melison publié chez Holy Grail Games. Après nous avoir proposé Museum (dont le niveau et le réglage ont fait débat) l’équipe nous revient avec un jeu qui est de loin plus aboutit et a de bonne chance de rester dans les annales. C’est Florian Stitz qui s’est vu confié la partie graphismes du jeu, après avoir fait ses preuves sur des jeux comme Le seigneur des Anneaux (jeu de cartes) ou Nightfall.
Dominations vous propose de développer une civilisation sans, chose rare, accompagner cela d’un affrontement guerrier. Il n’y a pas non plus de négociation politique, d’alliance ou d’influence dans le jeu et pourtant vous allez jouer sur plusieurs axes et, somme toute, simuler ces parties du développement d’une ethnie.
Après avoir choisi le peuple que l’on représente (en définissant surtout ses objectifs de points de victoire propres), une merveille à construire (par l’ensemble des joueurs) et 7 tuiles triangulaires (dont on peut rejeter tout ou partie selon ses besoins), la partie démarre pour 3 âges de 5 tours. Lorsque l’on lit ou explique les règles, on se rend compte que le jeu est simple (sans être simpliste) car les tours sont clairs et chaque joueur réalise les actions suivantes :
- Placer une tuile de sa main (7 au départ d’une manche) et recevoir des connaissances
- Construire une cité ou une merveille (avec ses points de connaissances) – Optionnel
- Acheter une carte de connaissance (avec ses points de connaissances) pour augmenter ses pouvoirs et PV – Optionnel
Les connaissances sont les ressources du jeu et elles se répartissent sur 6 couleurs (chacune représentant un axe de développement, comme la guerre, la culture ou la foi). Chaque couleur est plafonnée à 5 pts de connaissance stockés jusqu’à ce que des cités soient construites dans ces domaines (sur une tuile de la couleur). La pose d’une tuile permet de les collecter grâce à la couleur centrale de la tuile + les couleurs des coins qui se touchent (s’ils sont identiques, vous recevez un bonus de 1).
Cette pose de tuile nécessite plusieurs réflexions. Quelles ressources avez-vous besoin pour ce tour ? Quelles combinaisons pouvez vous maximiser (même couleur jointe) selon votre main et le jeu ? Quels objectifs pouvez-vous réaliser en plaçant votre tuile ? Quelles couleurs vous restera-t-il en main ensuite ? Quelles connaissances pouvez-vous grignoter pour le tour suivant ? Puis-je devenir majoritaire dans une couleur (lors du dernier tour d’une manche surtout) ? Vais-je ouvrir le jeu pour les autres ? Vais-je activer une cité (qui donnera des connaissances à son propriétaire) ?
On ne va pas se mentir, lors de vos premières parties, ces notions vous passeront au-dessus de la tête (voire même lors des suivantes si vous y jouez en dilettante), vous bornant à essayer de gagner le plus de connaissance pour disposer de moyens à dépenser dans le tour en cours. Il y a pourtant un vrai plan de jeu à avoir, tant sur les couleurs que sur la construction du plateau.
Il faut dire que plus on place de triangle côte à côte, plus on va finir par créer une « tarte » complète (appelée ici un Locus) et la dernière tuile récoltera une connaissance pour chaque couleur présente dans le centre de la tarte. C’est le genre de chose que l’on essaie de prendre pour soi-même 😊. En sus, si vous placez une tuile à côté d’une cité son propriétaire recevra des connaissances en rapport au niveau de la ville (de 1 à 3 – 5 avec l’extension capitale). Rien que le placement représente une réflexion intéressante et à plusieurs niveaux !
Après avoir posé votre tuile, vous construisez (éventuellement) au choix une cité (sur une couleur spécifique en payant des connaissances de cette couleur) ou un étage de merveille. Vous pouvez construire un étage sur une cité existante (max 3) et chaque niveau vous permet d’augmenter de 5 le maximum de connaissance stockable dans la couleur (domaine) associé. Comme les niveaux (et tuiles de l’étape suivante) coûtent de plus en plus cher, c’est vite nécessaire.
En construisant une merveille, vous placez une base cartonnée (adjacente à une tuile ou sur un locus) et payez les connaissances requises. L’étage vous rapporte une carte de connaissance qui s’ajoutera à votre arbre (et rapportera PV voire pouvoir). Le premier à placer un étage aura souvent un avantage ou bonus associé à la pose de la base cartonnée. Le nombre d’étages varient selon les merveilles et leur coût (nombre de connaissance et couleurs) change aussi.
On notera que tous les étages ne se valent pas en ne permettant pas un gain croissant associé à un coût qui l’est aussi. Certains étages sont clairement peu utiles en rapport qualité / coût, ce qui représente une de nos déceptions dans le jeu. Ce n’est cependant pas gênant, car tous connaissent dès le départ les niveaux utiles et ceux qui le sont moins.
Vient enfin la dernière étape de votre tour, l’acquisition de cartes de connaissances. Dans chaque couleur se trouvent 3 niveaux de cartes (coûtant 3-6-9 connaissances) avec 5 types de carte et 4 disposition de gemmes (nodus) sur ses 4 bords. Chaque carte vous donne un pouvoir différent (même si au niveau 3 on trouve les mêmes pouvoirs associés à des couleurs différentes) qui définira vos avantages et développement de civilisation. Ajoutons qu’il est possible de retourner ces cartes pour disposer d’un pouvoir supérieur de la carte de base.
Les cartes une fois achetées doivent se placer façon puzzle en plaçant les nodus d’une même couleur côte à côte. Comme un des objectifs de votre civilisation tient dans la création d’un certain nombre de nodus spécifiques, vous veillerez aussi à créer votre arbre de connaissance en favorisant ces couleurs. En fin d’âge, certaines cartes vous rapporteront des PV selon le nombre de nodus créé.
Lorsque la fin de l’âge arrive, le joueur majoritaire de chaque couleur gagne un pouvoir (dieu) pour la manche suivante (plus des PV) et toutes les connaissances des joueurs sont alors remises à 0. Le premier joueur sur une piste annexe (qui se développe à la construction des cités et de certaines cartes de connaissances) permet au premier joueur de copier la carte de connaissance d’un autre joueur. On reprend une main de 7 tuiles triangulaires (on peut en relancer certaines) et c’est reparti.
Sous le couvert d’une certaine simplicité des règles, Dominations : Road to Civilization est très tactique et plein de réflexion. Les cartes de connaissances vont réellement construire votre jeu, vous apportant des bonus enchaînés. C’est certainement la machine à points du jeu, mais aussi sa grande faiblesse sur le long terme si vous jouez avec des grands tacticiens. Comme il est possible d’avoir accès toutes les cartes, qu’à haut niveau elles ne se valent pas, il est possible de se faire un plan de jeu avant la partie, sur base de l’analyse des cartes à froid, et ensuite de se borner à le respecter (en prenant des options tactiques mineures en cours de jeu).
Si vous avez un joueur de ce type à table et que vous jouez en dilettante, choisissant vos cartes au fur et à mesure du développement, vous vous amuserez certainement, mais en faisant une croix sur la victoire finale. Il me semble clair que plusieurs voies pré-programmées soient gagnantes et que des analystes de haut vol vous expliqueront, calculette au poing, que tel enchaînement de carte est bankable. Il est plus que recommandé de construire dès les 3 premiers tours une carte de niveau 6 (nécessitant 6 connaissances, donc une ville de la couleur associée) afin de disposer d’un pouvoir supérieur durant toute la partie et ainsi une mécanique de croissance.
On regrettera la faible qualité des merveilles en carton, que les fous des imprimantes 3D devraient rapidement remplacer par des objets plus massifs. Jouer avec des analystes ralentira le jeu, sauf s’ils ont un plan défini dès le départ, la partie étant alors une succession d’étapes pré-écrites. On aurait aimé avoir un accès limité des cartes par niveau, variant à chaque partie, rendant la programmation en amont impossible et l’obligation de s’adapter au jeu.
Malgré tout, Dominations : Road to Civilisation est une franche réussite, qui s’accompagne de plusieurs extensions (non encore testées) qui modifient sans nul doute les possibilités du jeu. Notons par ailleurs que vous pouvez (en option) créer des capitales dans chaque couleur, qui ajoute 2 à votre niveau de ville en plus de PV complémentaires. Nous ne vous conseillons pas de jouer avec les PV de Nodus finaux qui forcent à construire en mono-couleur (et font plus de 50 % des PV).
Un jeu de civilisation sans guerre ouverte, ni négociations, c’est vraiment un plaisir de construction de savoirs. Et le savoir c’est la base du pouvoir ! Il ne vous reste qu’à le vouloir et moi je veux bien en refaire une partie ! 😉