World Order
Si la plupart des jeux nous proposent un cadre historique en guise d’explication de leur propos, souvent le cadre s’efface et on comprend vite que ce n’était qu’un prétexte. Rares sont ceux qui nous laissent un sentiment réel d’immersion, car les impératifs du jeu prennent le pas sur l’histoire et le monde. Il y a un an, Hegemony nous proposait une aventure 3.0 mais il nécessitait un peu trop de jeu de rôle, les gens autour de la table prenant le pas sur le jeu posé dessus. Replacer le focus sur le jeu tout en offrant une analyse cohérente du monde, de l’histoire et de son temps c’est le nouveau pari de…
World Order, le prochain jeu de Vangelis Bagiartakis et Varnavas Timotheou, est évidemment édité par leur maison de production Hegemonic Project Games via un financement participatif (qui se fini le 5 décembre à 18h et déjà financé à 1.500 % ! ) tandis que la VF sera faite par Super Meeple. L’artiste d’Hegemony, Miłosz Wojtasik est de nouveau plébiscité avec son style réaliste tout à fait raccord avec le jeu.
Dans World Order on va poser ses pions à travers le monde, dans un jeu de guerre froide sans affrontement direct. Les Etats-Unis, L’Europe, La Chine, La Russie sont les 4 joueurs de cette aventure politique. Chacun a un plateau sensiblement différent des autres, selon ses capacités de production et de transformation des produits et services.
Lors de chacune des 6 manches du jeu, chaque joueur jouera 4 cartes de sa main (sur 6). Chacune propose des développements politiques, institutionnels, militaires ou commerciaux. Il faudra faire des choix car 4 cartes c’est peu et cela peut cependant tout changer dans le monde. Les deux cartes restantes serviront de monnaie pour en acquérir de nouvelles dans un principe de deck building en fin de manche.
Hormis les actions visant le développement intérieur du pays (amélioration technologique ou monétaire), on comprend vie que toutes les actions des joueurs à travers leurs cartes ne visent qu’une chose : asseoir son influence sur une région du monde. C’est bien de cela qu’il s’agit dans World Order, montrer aux autres que l’on dirige dans la pénombre plus zones que les autres. Pour y parvenir, on va marquer des points, symbolisés par des cubes à notre couleur. On y parviendra en investissant de l’argent dans un pays allié, en installant des bases militaires ou en investissant diplomatiquement dans la région (tout cela pour le bien des populations locales bien sûr ! 😊 ).
Si d’un côté on va compter les points d’influence (après la manche 3 et 6) pour gagner des PV, de l’autre on va créer et déplacer des troupes armées (les tanks) dans ces mêmes régions dans un principe de guerre froide. Chaque pays a sa zone d’influence primaire, là où perdre la face est inconcevable et où toute menace doit être à minima équilibrée. Les joueurs placent donc des armées dans ces régions pour ne pas que ses habitants et alliés ne se sentent menacés par les autres nations influentes. Cela se concrétise par une perte de PV (2) à la fin de chaque manche par nation qui nous supplante militairement dans chacune de nos zone d’influence. Bien sûr, la plupart ne sont pas que NOTRE zone d’influence et un autre pays la vise aussi (l’Asie pour la Chine et la Russie ; L’Europe de l’ouest pour l’Europe, les USA et la Russie ; la zone Océanique pour les USA et la Chine…). Ce qui veut dire que si nous plaçons légitimement des troupes nous menaçons un autre pays et c’est le risque d’escalade… d’autant que rien ne dit qu’un troisième larron ne vienne lui aussi dans la région via un soudain accord local avec un pays tiers. 😊
Cette pression est excellente, car elle fera des parties radicalement différentes selon les envie, non pas belliqueuses (pas d’affrontement), mais orgueilleuses des joueurs. Car on pourrait se borner à un statut quo dans une zone et se focaliser sur son développement économique intérieur et extérieur, ne dépensant nos ressources que dans le bien des personnes et pas dans l’armée… mais les gens finissent rapidement par exploiter une possible base militaire dans une région du monde ayant des liens avec une grande puissance et c’est le début de l’escalade. Locale d’abord puis en « représailles » dans une autre zone d’influence du joueur « peu respectueux ». Bref, vous imaginez sans doute facilement l’escalade au niveau mondial avec chaque pays se montrant plus ou moins frileux d’investir ses ressources dans la guerre au lieu de développer des liens et des accords commerciaux.
Chaque puissance mondiale a ses propres caractéristiques. La Russie a du pétrole et des armes. L’Europe est la plus diplomatique et signe des accords divers pour asseoir son influence mais se disperse au niveau armée. La Chine produit et vend des biens transformés la rendant rapidement le plus riche. Les USA sont les patrons du monde avec une grande capacité en tout mais devant le plus ne pas perdre la face en devant contrôler 4 zones du monde aux 2 grands décomptes. Précisons que l’Europe et les USA faisant partie de l’OTAN ils ne se menacent pas mutuellement. Ce qui peut inciter les joueurs de Chine et de Russie de « signer » un accord de non-agression sur leurs territoires conjoints afin de ne pas « affronter » plusieurs ennemis à la fois. Bien sûr, c’est un accord de joueur, pas une règle immuable comme pour l’OTAN, aussi… 😊
Si chaque nation a ses facilités, il n’existe pas une seule voie de jeu comme pour Hegemony, où chaque joueur était enfermé dans le carcan de son rôle (mais le jeu était secondaire sur le plaisir autour de la table). Avec World Order on nous propose des axes, mais nous somme maîtres de notre développement en choisissant des cartes dans la rivière au bout de chaque manche.
Le seul soucis de ce système de deck building peut-être de ne pas pouvoir trouver, lors des achats de cartes, celles nous permettant d’aller dans une voie spécifique. S’il n’y a pas de cartes militaires lors de votre tour d’achat, vous ne pourrez pas répondre aux menaces d’un autre joueur (le Russe ou l’Etats-Unien bien souvent) et au fil des tours vos PV s’éroderont sans pouvoir vous défendre efficacement. Il faudra compenser par des prise de contrôle assuré de certaines régions et sur un développement de l’économie intérieure (la Croissance).
Si les Etats-Unis sont clairement avantagés (plus de tout et un accord avec l’Europe), il n’y a aucune assurance de victoire étant la cible des autres joueurs. La Russie est vite en mal d’argent mais ses troupes peuvent faire la différence en grignotant les PV si les pays visés ne suivent pas. L’Europe multiplie les accords et les cubes d’influence et vivrait tranquillement si ses territoires n’étaient pas aussi visés par la Russie et les USA (qui bien qu’ils ne la menacent pas, incitent les Russes à surenchérir sur place). La Chine produit et vend à tour de bras mais manque de services pour se développer en politique intérieure et doit faire des efforts pour conclure des accords hors Asie. C’est assez varié pour donner envie de tester chacune des nations tout en voulant essayer plusieurs voies de développement de chacune.
Si vous aimez lire et vous intéresser à la géopolitique, cette fois encore les auteurs nous gratifient d’un document complémentaire expliquant leur vision du monde et les raisons de leurs choix politiques et économiques. C’est super et rarement à ce niveau de documentation dans un jeu. Je vois dans le KS qu’une expansion est prévue afin de remuer le monde via des événements qui peuvent changer la donne et qui reprennent des choses survenues sur les 15 dernières années telles que le Brexit ou la Guerre en Ukraine, j’imagine. Une limitation du pacte de non-agression EU<>US à l’Europe serait intéressant car la toute puissance des USA est parfois trop marquée. Qui sait si les actes prochains de Trump n’auront pas un impact sur le maintien de leur présence dans l’OTAN…
Il vous reste une poignée d’heures pour savoir si vous voulez participer au maintient de l’ordre dans le monde…