The Smoky Valley
J’ai la chance d’être au contacts d’auteurs de jeux qui me proposent leurs œuvres en devenir et me demandent mon avis. Tout n’est jamais parfait et on ne se rend pas bien compte du nombre d’heures de tests et d’affinage que nécessitent la sortie d’un jeu, qui est parfois critiqué (pour ne pas dire brûlé sur la place publique) en une seule partie. Ce qui est certain, c’est que c’est toujours avec une certaine émotion que l’on finit par tenir entre ses mains l’objet final que l’on a vu grandir.
The Smoky Valley est le dernier jeu du québécois Claude Sirois, édité par Spielworxx, et qui fait partie de sa « collection » autour de Griffintown (après The Grand Trunk Journey). C’est l’auteur chouchou des allemands (et peut-être plus que d’eux) Harald Lieske qui s’est occupé des Artwork, toujours dans son style 90’s…
Dans The Smoky Valley, vous participerez au développement du canal Lachine (près de Montréal). Cette zone ayant vu une augmentation soudaine de ses industries, la fumée de celles-ci lui ont valu le surnom faisant titre au jeu. Vous serez un des investisseurs de l’endroit tant pour vous développer en tant que financier qu’en tant que figure politique, vu que vous viserez une place de maire.
Vous avez 5 manches réparties sur 3 décennies, chacune ayant ses spécificités (coût, actions entre les manches). Pour chaque manche vous aurez de l’argent à dépenser pour réaliser vos actions, chacune coûtant 1 ou 2 pièces. Chacun réalise une action à son tour, jusqu’à ce que tous aient passé (avec ou sans argent restant).
Le plateau du central représente les 5 zones de développement industriels, situés soit le long du canal, soit près du réseau ferroviaire (une dispose des 2). Chaque zone a déjà une entreprise de production de planches (neutre ou aux joueurs) et il sera possible d’en construire d’autres (pour produire du fer, des briques, du grain, du charbon, de la farine, de la bière, des machines ou des navires).
Le plateau du joueur, outre votre stock, contient les 5 quartiers du jeu (placés aléatoirement au début du jeu et modifiables en jeu) ainsi que votre marqueur de navigation qui définit le quartier actif (sur lequel vous pourrez faire une action). A chacun de vos tours d’action, vous aurez à choisir si votre marqueur se déplace sur le quartier suivant (ou plus loin sur votre droite) OU si vous voulez rester en place / remonter le fil de la rivière sur la gauche en payant 1 £. C’est la première bonne chose du jeu, cette gestion de vos actions liées à votre placement, car d’un côté l’argent définit le nombre d’actions de votre manche et de l’autre vous avez une envie/intérêt de rester sur place pour rentabiliser ce que vous avez développé sur le quartier au tour précédent.
Une fois le quartier où effectuer votre action choisi, vous pourrez réaliser une de celles-ci :
- Construire une industrie : 2 £ et de 1 à 4 bois (selon celle choisie). Cette industrie nous appartient et si un autre joueur l’utilise nous touchons une compensation. Des bonus peuvent être gagnés selon les services fournis par le quartier.
- Améliorer une industrie : 1 £ et 2 ressources (bois/fer ou brique/machine) afin de retourner une de vos industries, augmentant sa production.
- Produire : Activer les usines pour 1 £ par usine activée afin de récolter des ressources. On profite des éventuels services placés sur le quartier au passage.
- Développer un service : 1 £ et 1 ou 2 charbon (selon la décennie) pour placer une tuile offrant un bonus lors de la production/construction/amélioration des industries. Cela augmente votre production d’argent en début de manche.
- Développer le canal Lachine : Acheter (1 £ et 1 brique ou machine) une tuile bonus que l’on associe à 1 (voire plusieurs) quartiers de votre plateau joueur offrant des bonus à certaines actions. Cela améliore votre emprise sur un quartier spécifique.
- Acheter une carte de la ville : 1£ pour une carte améliorant votre jeu immédiatement et/ou sur le long terme. Les cartes sont limitées par joueur.
- Embarquer un commerçant / des marchandises : 1 £ pour charger un meeple ou des ressources sur les bateaux partant à l’international, qui rapporteront des PV une fois arrivés.
Une bonne part de ces actions vous rapporteront aussi du prestige afin d’être bien vu de la population (vous développez l’emploi en ville) afin de vous faire élire maire lors d’une des inter-manches (3 fois dans le jeu). Être maire a deux avantages : choisir les PV que donnent les cartes de la ville (selon la couleur) et pouvoir durant votre mandat acheter une carte de ville de plus que les autres. Ces deux choses sont loin d’être anodines, car d’une part les cartes sont puissantes en soi, d’autre part il s’agit de PV que l’on ne veut pas perdre et si l’on décide d’abandonner la course à la mairie, on veillera à acheter des cartes de la même couleur que le meilleur politique pour ne pas le laisser s’envoler au score.
Dans Smoky Valley vous aurez une multitude de manière de scorer, via les envoi de marchandises à l’international, via les constructions dans les quartiers, via le développement du canal. Mais aucune de ces voies ne sera simple, car l’argent se fera de plus en plus rare au fil des manches et si vous n’avez pas réalisé des actions vous permettant d’avoir un appoint personnel, vous n’aurez aucune action lors de la dernière manche qui se fait uniquement sur fond propre.
Cette limite, combinée à la nécessité de payer pour rester deux tours dans le même quartier, vous oblige à vous diversifier et ne pas focaliser sur un seul développement. D’autant que lorsque vos adversaires voient que vous payez pour améliorer un quartier, qui rapportera donc plus en fin de partie, ils ont tôt fait de venir s’y incruster pour profiter de vos dépenses sans eux-mêmes trop investir. Il faut donc parfois être finaud et temporiser, pour agir en fin de manche lorsque vos adversaires n’auront plus les moyens pour réagir.
Chaque partie sera différente de la précédente, grâce à un placement aléatoire des quartiers en début de partie, aux améliorations proposées pour le canal (qui peuvent donner des bonus dans les quartiers voisins), au tirage des cartes (avec ou sans augmentation de production d’argent), mais surtout selon ce que feront ou pas vos adversaires, vous forçant à vous adapter pour profiter de leur travail.
Cela fait plusieurs fois que je trouve que la sortie de Spielworxx de début d’année est la plus aboutie de sa production annuelle. Hasard ou temps de préparation sans le stress d’Essen, je n’en sais rien, mais après The Cost ou Yinzi publié en début de saison, The Smoky Valley rentre lui aussi dans cette catégorie des jeux réussis. Je ne regretterais sans doute qu’un matériel simple (mais pour une fois exempt de problème d’édition comme par le passé) et un artwork désuet comme Lieske sait le faire (j’ai de plus en plus de mal avec son style 90’s pour des jeux modernes).
Félicitation Claude pour cet opus. Si chaque jeu de la gamme Griffintown offre une montée en puissance, je suis déjà curieux de savoir si un troisième titre dans ou autour de la ville est en préparation ! 😊