Praga Caput Regni
Une des choses les plus difficile à réaliser dans un jeu expert offrant plusieurs types d’action, c’est de gérer l’équilibrage. On veut tous pouvoir prendre des voies différentes tout en ayant les mêmes chances de gagner que le voisin, pour ne pas se borner à toujours jouer de la même manière dans ce qui deviendrait « la voie royale ». Parfois il faut atteindre un certain niveau de jeu, de connaissance dans le fonctionnement d’une partie, pour que l’on puisse gagner avec les voies supposées faibles, parfois on se rend compte dès la première partie que tout le monde a les mêmes chances de victoire.
Praga Caput Regni est le dernier jeu de Vladimir Suchý, qui a déjà emporté l’EGA 2017 avec Underwater Cities, toujours publié chez Delicious Games, la boîte de production familiale créée à l’occasion de Underwater Cities. C’est Milan Vavron, qui a déjà œuvré sur Tzolkin, Mage Knight ou évidemment Underwater Cities, qui continue à avoir les faveurs de Suchý.
Praga Caput Regni, ou Prague Capitale du Royaume, fait référence à la maxime tchèque qui date du 14ième siècle au moment où Prague était une des villes les plus importantes d’Europe. Dirigée par un Roi de Bohème, Charles IV, ce dernier devient Empereur du Saint Empire Romain et entreprendra une expansion de Prague à tout niveau. Fondateur de l’Université de Prague, d’un pont à son nom sur la Vltava, d’un Mur de défense et du début de la construction de la cathédrale St Vitus (ou St Guy en français), c’est sur les traces de cet illustre monarque que vous allez marcher.
La partie se déroule sur 16 tours, éventuellement complétés de quelques coups bonus, répartis sur deux ères (qui change les tuiles disponibles). Une roue gère le passage du temps et le coût des tuiles d’action que vous choisirez. Il existe 6 types d’action possible :
* Production d’or / de pierre : Au choix, augmenter sa capacité de production (+1 ressource immédiate) ou produire (des ressources et des bonus selon l’avancement).
* Prendre une tuile : Les tuiles sont de 3 types et permettent d’obtenir des bonus de placement (lorsque deux symboles se touchent).
– Upgrade : Donne un bonus aux actions de base. Gratuit.
– Mur : Donne un bonus immédiat et permettent éventuellement de progresser dans le Mur de la Faim. Payant.
– Bâtiment : Donne un bonus immédiat et permettent éventuellement de progresser dans la Cathédrale. Payant. Combat de majorité autour des places du jeu.
* Avancer sur la route : Gain de ressources en partie contre des œufs (utilisé dans la construction du pont comme mortier).
Ce qui est intéressant c’est qu’avec ces six actions on va générer des sous-actions (collecte, développement, PV) qui vont vous permettre de plus analyser vos options. Une des actions de développement c’est l’avancée dans les deux bâtiments 3D : Le Mur de la Faim et la Cathédrale St Vitus. Vous aurez 4 cases de développement latérales et autant verticales qui s’activent différemment. A l’horizontal, cela se fait avec les tuiles (Mur/Bâtiment) ayant le symbole ad hoc, tandis que l’on progressera vers le haut en rendant 2 vitraux préalablement collectés (action libre).
Grimper dans la cathédrale, monter sur le pont ou atteindre le bout de la piste des Pierre/Or ont la même utilité : Récolter des Objectifs PV de fin de jeu. Ces divers endroits vous permettront de choisir une manière de gagner des PV et, somme toute, guider votre fin de jeu. Par ailleurs, vous gagnerez aussi des PV en multipliant vos avancées dans la bibliothèque et l’université, votre progression latérale dans les 2 3D avec les jetons récoltés, selon les murs construits et les œufs collectés !
Fichtre, c’est tellement de possibilités de scoring et on n’a que 16 coups ! Il ne sera donc pas possible de scorer partout, juste de grappiller des PV selon les moments du jeu. C’est bien cela qui est agréable, chaque joueur va pouvoir aller dans un chemin différent ou identique (risquant alors de se voir souffler son bonus devant le nez) tout en cherchant à profiter des PV que les coups de ses adversaires lui offrent. Il faut donc rester alerte sur les actions des autres et être capable de postposer une action pour profiter d’un avantage immédiat.
C’est la réactivité et la redéfinition de ses objectifs moyens terme qui donnent tout le plaisir du jeu. On ne s’ennuie pas et pas question de connaître ses coups à l’avance dans une stratégie figée. On a bien un plan de jeu, mais il faut savoir le revoir en partie au bon moment. Celui qui gagnera sera celui qui aura profité des meilleures options du jeu tout en développant sa voie jusqu’au bout.
La rejouabilité est au rendez-vous avec ses nombreuses tuiles différentes, les places recto-verso, le positionnement des objectifs de fin, les plaques du mur/pont/cathédrale/route modifiable. Si vous démarrez la partie avec une manière de vous développer en tête, vos premiers coups risquent de vous mener dans un autre chemin, à moins de payer le coût nécessaire pour forcer votre stratégie. Cela risque d’être fort cher sur l’ensemble de la partie et laisser des gains faciles pour vos adversaires, aussi vous reviendrez plus facilement sur de la réactivité, payant le coût uniquement quand vous ne devez pas laisser passer une action.
Il y a fort à parier que cette gestion semblant parfois être « forcée » par le jeu (meilleur coup à un moment T) plaira moins aux stratèges qui aiment avoir les coudées franches. Une autre faiblesse du jeu est lié aux deux bâtiments 3D qui ont des informations sur leur face avant (coût de progression, PV des colonnes) qui ne sont pas clairement visibles par les joueurs placés sur les deux côtés de cette partie du plateau (sans être aussi incapacitante que l’obélisque de Tekhenu ). Ce problème a été pris en compte par l’auteur qui a placé sur son plateau une version 2D du Mur et de la Cathédrale. Vous jouerez vos premières parties sans les 3D et une fois les coûts connus vous pourrez aisément les remettre sur le plateau.
Sous certains aspects, Praga Caput Regni offre des sensations proches de Maracaïbo, dans la multiplicité des voies de développement et de l’adaptabilité nécessaire à la partie, sans avoir le nombre de coups variable de ce dernier. Son fort équilibre permet à de nouveaux joueurs de l’appréhender rapidement et de vous poser de vrais défis sans pouvoir profiter de l’avantage que donne un joueur expérimenté sur certain jeu, écrasant les newbie de leur connaissance tactique. Ici, les PV se tiennent souvent sur une dizaine de points, on est loin de Barrage ou Tekhenu. Pas ici de frustration sur l’aléatoire de Underwater Cities, Suchý a sans doute revu sa copie pour minimiser cet aspect de jeu.
Un thème historique bien rendu, un jeu plaisant et combatif dès la première partie, des règles accessibles malgré des détails de scoring a bien concevoir (mais une vidéo règle existe déjà ! ), le tout donne un jeu plaisant à l’analyse constante. Il a tout pour plaire sauf la VF, mais Atalia le proposera dans le premier trimestre 2021. Bien que cela ne soit pas nécessaire (tout est iconographique), cela sera un plus pour beaucoup de francophones. En tout cas, j’ai depuis une grosse envie de visiter Prague pour découvrir en vrai les monuments que j’ai construits !