On Mars
Si vous avez vu « Seul sur Mars » (The Martian) de Ridley Scott, ou pour les plus littéraires lu le livre éponyme de Andy Weir, vous savez combien l’endroit est hostile mais plein de promesse de (sur)vie. Le film se terminait avec une formation de jeunes astronautes à qui on explique que si sa vie est en péril on résout un problème après l’autre tout en faisant preuve de créativité. Cela pourrait être le leitmotiv de votre prochain jeu sur la planète rouge.
On Mars est le dernier jeu très (très) attendu de Vital Lacerda publié chez Eagle-Gryphon Games (en anglais car la localisation en Français est gérée directement par Philibert, qui depuis a ouvert une filiale dédiée à l’édition « Barbu Inc » que l’on verra sur De Vulgari Eloquentia) et (à nouveau) Ian O’Toole aux graphismes. Vital Lacerda nous a fourni ces dernières années des perles ludiques largement appréciées (Kanban, Vinhos, Lisboa) qui lui ont valu d’entrer dans la liste des auteurs suivis et attendus. Si Escape Plan a déçu ceux qui attendaient une nouvelle bombe, ils risquent de repartir dans les qualificatifs élogieux avec On Mars. D’autant que cette fois le jeu est vraiment porté par le travail de Ian O’Toole avec un graphisme dans le thème (comme Lisboa) mais vraiment lisible (pas comme Lisboa) et qui plaira tant à ceux qui verront la boîte qu’à ceux qui joueront au jeu. La première approche est déjà gagnée, voyons la suite.
Un camp de base a été placé sur Mars et, en tant que chef astronaute, vous rêvez de devenir un pionnier de la conquête de la planète rouge. Avec d’autres responsables de maisons de survie, vous développez la planète, installez des stations d’extraction et de développement vous permettant peu à peu de vous passer des approvisionnements venant de la terre. Vos actions permettent à la station orbitale qui vous supervise de grandir et de nouveaux colons rejoignent les habitations que vous construisez, jusqu’à ce que vos talents vous valent la reconnaissance de la Terre.
On Mars a un thème fort : la colonisation de la planète. Et toutes vos actions sont ancrées dans ce thème. Il y a deux parties au jeu : L’orbite de Mars où l’on a les contacts avec la Terre et la planète Mars où l’on construit la base. Votre astronaute est d’un côté ou de l’autre, mais pas sur les deux en même temps et vos actions du tour seront donc liées aux possibilités de votre positionnement. Une fusée fait l’aller-retour Mars-Orbite et vous pourrez la prendre (quand elle sera de votre côté) pour changer d’endroit.
Sur la station orbitale, vous pourrez :
– Acquérir des plans de construction de bâtiments évolués (gratuit)
– Apprendre de nouvelles technologies (partiellement gratuit)
– Améliorer vos technologies (payant en ressource)
– Stocker des ressources fournies par la Terre (gratuit)
Le nombre de fois que vous ferez une action dépend du nombre de travailleurs que vous affecterez à celle-ci. Il est donc possible de vider un marché d’une ressource en étant le premier dessus. Tout ce qui est disponible dans la station l’est pour toute la manche et ne sera pas réapprovisionné avant la Phase suivante (au maximum 3 par partie).
Sur la planète, vous pourrez :
– Construire des Bâtiments (payant mais recevant des ressources)
– Améliorer des bâtiments (via les plans acquis sur orbite et permettant d’avoir des bonus)
– Engager des experts (qui utiliseront mieux les améliorations)
– Revendiquer des objectifs
– Déplacer vos engins de surface (Robot et Rover)
– Construire des fusées (qui amèneront colons et Robot)
Vous avez des objectifs personnels qui vous ramèneront un petit bonus en cours de jeu et des objectifs de partie (partagés par tous les joueurs) qui décideront de la fin du jeu. Vous pouvez choisir des objectifs longs ou courts (bon on est quand même à du 3 heures pour la configuration courte !). Selon le développement de la station orbitale, vous aurez à terminer les 3, 2 ou un seul objectif. Autant dire que la fin peut être assez rapide quand un objectif est déjà atteint et qu’en quelques tours la station se développe.
Posé à plat ici, le jeu a l’air relativement simple, un énième placement d’ouvrier pour déclencher des actions. Mais il n’en est rien et pour trois raisons.
1) Il y a une foultitude de petites règles impactant le jeu que l’on doit appliquer. Si elles sont simples prises une à une, elles deviennent vite trop nombreuses et trop vite oubliées en cours de partie. Comptez que votre première partie (et peut-être les suivantes) sera entachée de plein d’erreurs, de bonus oubliés, d’actions mal réalisées. Cela signifie aussi une bonne heure de jeu pour l’expliquer avant de se lancer, en espérant que le joueur qui a ingurgité les règles sache les restituer correctement. Pour l’avoir (mal) vécu, ce n’est pas une mince affaire et le montage d’une vidéo des règles (en cours) me conforte dans ce sentiment.
2) Il y a une logique forte dans le jeu. Les hommes extraient du minerai, qui en brûlant fait de l’énergie, qui permet de faire fondre la glace pour l’eau, qui permet de cultiver des plantes, qui permettent de disposer d’oxygène, qui permettent d’avoir des stations de survie pour les hommes. La boucle est faite. En jeu, on retrouve les liens par groupe de 3, ce qui est perturbant visuellement, car pour avoir l’Expert en plantes (vert, couleur de la carte) vous devrez dépenser de l’eau (bleu) mais il vous fera gagner des PV sur les bâtiments d’oxygène (gris clair). La logique est super, mais on bugge vite en cours de jeu en se demandant quel expert choisir, quelle ressource stocker pour réaliser telle ou telle action. Je gage qu’en multipliant les parties cela sera plus simple, mais la première risque fort d’être plus ardue.
3) Vous contribuez tous au développement de Mars. Pour parvenir à vos fins, vous aurez besoin des technologies développées par les autres, des bâtiments avancés construits par les autres ou de leurs experts pour les vôtres. Cela nécessite de savoir ce qu’ils font, mais surtout d’avoir de bons yeux ! Les icônes sont parfois fort petites, les plateaux de jeu nécessitent une grande table ce qui force l’éloignement et les couleurs vous induisent vite en erreur (voir ci-dessus). Vous devrez donc suivre leurs acquisitions et développements, tout en planifiant vos actions et besoins futurs et essayant de combiner au mieux vos bonus de tour. Analysis Paralysis quand tu nous tient…
Vous aurez à votre disposition une série d’action bonus possibles, mais une seule est autorisée par tout. C’est malin, car cela empêche un joueurs ayant multiplié les constructions et/ou les experts en profitant de faire une série d’action-réaction qui durerait des heures en bonus divers. Cela force souvent à retarder une action bonus d’un tour pour profiter d’une autre plus urgente (pour contrer un joueur souvent ).
Il n’y a pas grand-chose à dire au niveau du matériel, si ce n’est que les couleurs choisies pour les joueurs sont un peu proches (vert et bleu) ou ton sur ton (jaune). Mais tout est épais et de qualité (j’ai envie de dire « comme toujours chez Eagle-Gryphon Games ») et les insert de la boîte sont top pour le rangement.
L’interaction est forte dans le jeu puisque l’on joue ensemble sur la planète, que l’on partage les technologies, que l’on a besoin des autres pour terminer les objectifs. La complexité est élevée, en faisant un jeu plus qu’expert grâce au mélange d’actions simples et d’une gestion imbriquée pleine de détails comme précisé précédemment. J’ai personnellement trouvé Trismegistus beaucoup plus simple que On Mars quant aux possibilités d’actions et de règles. Si le premier vous semble déjà complexe attendez-vous au pire pour On Mars.
A mon sens, il s’apparente plus à un Feudum, tant pour la durée des explications et leur détail que pour la prise en main se faisant sur plusieurs parties. Il dispose d’une énorme valeur en rejouabilité mais nécessitera de bloquer du temps pour le caser, surtout en mode « objectif long ». Je suis certain qu’il trouvera son public, comme il en perdra d’autres n’ayant pas la patience ou le niveau pour pouvoir le concevoir dans sa globalité.
Vital Lacerda signe ici son jeu le plus aboutit dans la cohérence, l’interaction, la complexité, la rejouabilité et le graphisme (merci Ian). On Mars tient donc toutes ses promesses (ouf) et sera sans nul doute un jeu du top de l’année. Mais sera-ce un jeu 2019 ou 2020 ? Pour l’instant cela reste une inconnue, Philibert annonçant Décembre-Janvier pour la disponibilité. Il nous reste à patienter, la tête tournée vers les étoiles à la recherche d’une planète rouge qui semble encore bien lointaine.