Living Planet
On a tous nos auteurs préférés. Souvent c’est plus lié à un jeu qu’à la personne en tant que telle, car au fond, on n’en connaît vraiment que le nom posé sur une boîte. Feld, Lacerda, Bauza, Cathala, Rosenberg, Wallace, Knizia, il y a le choix pour tous et tous les genre. Plus ils sont prolifiques, plus vous avez de la chance de les « aimer » en ayant un lien privilégié avec un de ses jeux. Evidemment, quand il sort un nouveau jeu, vous êtes de suite emballé, espérant retrouver vos meilleurs moments passés. Je suis comme vous et un de mes jeux top 10 est Archipelago…
Living Planet est le dernier jeu du sympathique Chris Boelinger (avant Rise & Fall en 2020-21), l’auteur de Dungeon Twister qui fait toujours les beaux jours des amateurs, et publié chez Ludically, qui est un peu sa maison. Pour les illustrations, c’est un trio qui s’est mis au boulot : Bertrand Benoit (Claustrophobia, Gosu), Stéphane Gantiez (Libertalia, Codenames) et Ismaël Pommaz (Archipelago, When I dream). Je me demande souvent pourquoi 3 illustrateurs quand il ne s’agit pas de perdreaux de l’année. Est-ce dû au volume de travail ?
Si l’on prend en compte les 3 extensions et le matériel de l’édition Deluxe, il y avait effectivement du boulot pour sortir le tout dans un seul Kickstarter. Mais nous ne parlerons ici que du jeu de base, exit donc le scénario et les bâtiments supplémentaires pour nous focaliser sur l’aventure de base. Et l’aventure est magnifiquement développée sur les 2 premières pages de règles. L’humanité a détruit la terre et trouvé dans l’espace une ressource (le Mycélium) qui nourrit et soigne. Du coup, les corporations vont l’exploiter jusqu’à la moelle de la planète cette ressource miraculeuse.
Douze tours vont ainsi vous mener à l’explosion de la planète, à vous d’en tirer le plus d’argent dans ces derniers instants. La planète, comme un chien qui se secoue pour éliminer des puces, tente de se débarrasser de ses parasites avec des cataclysmes à chaque fin de tour d’un joueur. Vous essayez de vous en prémunir tout en continuant l’exploitation. S’en fout des risques s’il y a du profit (belle mentalité que celle de l’homme).
Chaque joueur a 6 cartes (valant de 1 à 6) en début de partie et va, à chaque tour, en choisir une qu’il défaussera, jusqu’à ce qu’il n’en ait plus et reprenne le tout. Le nombre représente plusieurs choses :
* Les N° des bâtiments (de tous les joueurs) qui produiront à son tour
* La force des 2 actions différentes qu’il réalisera à ce tour
* Les tuiles qui seront touchées par un cataclysme (3 types possibles) en association à la couleur du joueur.
Les actions que pourront faire les joueurs doivent être différentes et à choisir parmi :
– Explorer une tuile et s’y déplacer : en respectant les configurations de terrains adjacents et les limites de déplacements des troupes.
– Déplacer ses troupes
– Construire un bâtiment : A choisir entre Production / Financier / Protection
– Manipuler le marché et acheter/vendre des ressources
– Prendre de l’argent
– Prendre un marqueur de modification de son dé
Ce qui est différent d’une planification normale, c’est que le premier joueur du tour (le leader) va choisir dans quel ordre chaque joueur va activer son dé. De la sorte, il va forcer l’ordre des productions, mais aussi des cataclysmes et d’éventuelles actions/réactions des joueurs. C’est vraiment lui qui fait et défait les plans des joueurs.
C’est puissant, très puissant, car vous pouvez de la sorte :
– Détruire les possessions d’un joueur : en le faisant subir un ou plusieurs cataclysmes avant qu’il ne puisse guérir (ses scientifiques) ou Ré-automatiser (ses bâtiments)
– Définir qui va pouvoir construire et produire : en agissant avant les autres, vous connaissez les valeurs des dés à venir et pourrez éventuellement construire un bâtiment de production avant que le dé qui l’active ne soit joué. Le dernier joueur n’aura ainsi pas d’avantage.
– Provoquer un crash boursier : lorsqu’une possibilité d’atteindre le haut (niveau 10) d’une valeur d’une ressource arrive et que l’on augmente encore sa valeur, elle retombe en bas du tableau (niveau 1) et force tous les joueurs à vendre leurs ressources. Le faire avant qu’un joueur ne vende est destructeur de plan.
Qui plus est, le leader profite d’un pouvoir dépendant du n° joué, qui vous permettra de :
* Changer la valeur d’un dé avant qu’il n’active un cataclysme
* Rendre une ressource plus rare : elles sont déjà limitées et se réduisent à chaque tour, cela diminue les possibilités de production des joueurs visés
* Construire un Rover ou engager un scientifique gratuitement
* Augmenter ou diminuer la valeur du marché d’une ressource
* Décider quelle ressource sera produite en double pour tous ce tour
* Récupérer une des cartes déjà jouées
De prime abord, on pense qu’on est sur un Archipelago, où l’on va explorer et construire. Mais si vous partez dans cette voie, vous déchanterez rapidement. Les cataclysmes, l’ordonnancement du tour par le Leader, les coups bas et traîtrises vous feront détester le jeu une fois que vous serez au fond du trou et que quelqu’un vous poussera encore de sa botte pour vous y maintenir.
Non, dès le début de l’histoire on vous le dit, l’objectif c’est le profit ! Le marché fera plus de 60 % de vos PV (5 Méga crédit = 1 PV, les bâtiments valent 1 ou 2 PV chaque, le rover 1 PV) et les bâtiments qui permettent de mieux vendre sont puissants (nécessaires). Bien sûr, il vous faudra des ressources, mais vous devrez peut-être en chercher sur le marché au prix bas et surtout, il faudra vous protéger des cataclysmes plutôt que de reconstruire.
Living Planet réclame de changer votre lecture du jeu et d’accepter de n’avoir aucun ami durant une partie, mais l’anticipation est le maître mot. En retenant les N° joués par les autres (liés aux cataclysmes et productions), vous pouvez choisir au mieux quel n° choisir sur votre prochain bâtiment de production, quelle carte d’exploration choisir avec le moins de risque, quel pouvoir le prochain leader risque de sélectionner (et ainsi connaître le n° qu’il jouera). Si vous ne faites pas cela, prévoyant le pire, vous pouvez perdre le contrôle d’un de vos bâtiment en deux tours.
Vous devrez essayer de vous affranchir du facteur chance (pour vos tirages mais aussi sur celui des autres qui risquent de pourrir votre marché) en essayant de minimiser les risques et accepter qu’un Kingmaking existe (pourrir un joueur ou favoriser un autre est une réalité). Jouer à 3 vous permettra d’avoir plus de maîtrise sur la partie et il semble encore plus jovial à 2. A 4 joueurs, il ne plaira pas à tout ceux qui auront subit les cataclysmes et la perte de leurs bâtiments, c’est un écueil qu’il vous faudra passer pour rejouer et comprendre comment une planète en vie, mais sur le point d’être détruite, doit être appréhendée.
Christophe Boelinger aime proposer des jeux un peu hors normes, innovants et c’est pour cela aussi qu’on l’apprécie. Living Planet dispose d’un développement lent, on ne produit pas des tonnes de ressources après 5 tours, se distanciant ainsi des « jeux à l’Allemande » (il vous faudra l’extension Industria pour retrouver ce genre de développement). Il faut accepter de perdre un bâtiment plutôt que de dépenser tous son (ses !) tour(s) à le protéger, car vous ne vous développerez pas en reconstruisant. Si vous êtes prêt à tous les sacrifices, amis, bâtiments et bien sûr la planète, pour le profit, alors vous êtes prêt à atterrir sur Living Planet.