Legacies
Avec Kickstarter, toute la donne des productions de jeux a changé. Un auteur n’est plus obligé de passer par une maison d’édition, la convaincre et subir ses décisions (revue du jeu, du thème, niveau de production, distribution,…). Il peut se lancer lui-même et essayer de convaincre les joueurs-acheteurs qu’il propose quelque chose qui les intéresse. On voit ainsi fleurir les maisons d’éditions pour un seul jeu (qui peut ensuite être suivi d’autres). Si elles ont souvent l’énergie de l’excitation, elles n’ont pas toujours le recul qu’il faudrait pour faire certains choix ou prendre des décisions fortes d’une expérience acquise. Mais peut-on vraiment critiquer les auto-éditions quand les maisons d’expérience valident encore des jeux avec des erreurs de choix, production ou règle ?
Legacies est le premier jeu de Jason Brooks qu’il édite via Kickstarter sous le nom d’édition Brookspun Games créé pour l’occasion. Les illustrations sont confiées à James Churchill, qui est très actif depuis quelques années et que l’on verra encore avec Dom Pierre ou Connecting Flights, et Yoma, lui aussi bien rentré dans le monde du jeu depuis quelques temps (Rurik, Endless Winter).
Legacies vous propose de suivre votre famille sur 3 siècles, afin de fournir à vos descendants un héritage via une fondation qui prospérera grâce à vos efforts. En tant que fondateur, vous avez des capacités spéciales dans un domaine, un pouvoir sur les autres que votre famille dispose. On verra si vos enfants et petits-enfants marcheront dans vos pas ou s’en éloigneront.
On part ainsi pour 6 manches (2 par siècle) avec 3 cartes action en main, ainsi qu’un successeur. Chaque joueur a choisi un type de joueur pour récupérer son plateau et décidé de la face de celui-ci (plus agressif ou pas). A tour de rôle, on aura le choix entre jouer une carte (de sa main ou échangée avec une main commune) ou une des actions communes (divisées entre obligatoires et optionnelles). Une manche se terminera lorsque les deux actions obligatoires et 3 optionnelles (à 3-4 joueurs) seront réalisées, offrant un petit bonus aux joueur n’ayant pas eu droit au même nombre d’actions dans la manche.
Les cartes proposent chacune un choix entre 5 options d’action. Chaque carte est différente et de plus en plus forte (sur certains points) selon les siècles joués. Les actions possibles sont :
- Recevoir une ou plusieurs ressources.
- Activer l’exploration du monde : Une action de secours pour avoir un peu d’argent et repiocher un successeur
- Jouer en bourse : 10 types d’actions sont en jeu et l’on peut acheter/vendre 2 ou 5 tickets pour faire fluctuer leur prix. Chaque joueur est associé à 2 types.
- Activer une capacité spéciale : Un texte spécifique placé sur la carte.
- Activer une relation : Moyennant paiement (ressource, or, PV, carte) on place un marqueur de relation avec une personnalité du monde ou un des 10 types de joueur possible. Certains types sont des ennemis personnels et auront une pénalité en PV tandis que d’autres, amis, ne couteront rien. S’il n’est pas possible d’être en relation avec soi-même, cette option permet d’activer le pouvoir de famille.
- Acheter un objet de famille : On paie en ressource l’achat d’objets qui seront légués à nos successeurs. S’ils sont pris dans ceux prévus pour la famille, ils rapporteront de l’or. S’ils sont pris dans les familles adverses, ce sera des PV. Il y a 6 n° d’objets et l’on ne peut avoir qu’un exemplaire de chaque (sauf les n°6).
Une fois que l’on a joué deux cartes de sa main, on peut alors choisir une des actions communes. Elles ont une action commune et une action meilleure pour le joueur qui la choisi. Quand les deux cartes obligatoires (pour mettre fin à la manche) et 3 optionnelles sont prises, la manche se terminera. Elles sont communes à chaque manche :
- Activer l’événement de la manche (Obligatoire) : Le joueur actif choisi quel côté de la carte d’événement est activé, tandis que le joueur le moins bien classé dans les PV choisira (selon la manche) l’objectif de fin de siècle ou de partie.
- Activer les relations (Obligatoire) : Le joueur actif choisi une de ses relations et récupère le bonus associé. Toutes les relations se dégradent et toutes produisent leur bonus associé de leur nouvelle position (y compris les Internationales).
- Investir dans sa fondation (Optionnel) : Mettre de l’argent de côté pour les générations futures. Le joueur actif double la somme mise (plafonnée selon le siècle). Cette action ne peut pas être prise si c’est la première action commune choisie de la manche.
- Récupérer les dividendes (Optionnel) : Chaque action en bourse acquise produit selon son niveau. Le joueur actif double les gains.
- Valoriser ses objets de famille en argent (Optionnel) : Chaque objet de famille produit de l’or selon les 2 types de valeurs associées à l’objet (dépend de la famille). Le joueur actif produit comme s’il disposait d’un objet de plus.
- Valoriser ses objets de famille en PV (Optionnel) : Chaque objet de famille produit des PV selon un des deux types de valeurs associées à l’objet (dépend de la famille). Le joueur actif produit des PV sur les deux types d’un seul objet.
- Réaliser une conférence internationale (Optionnel) : Réaliser une enchère sur un type de ressource pour en récupérer une autre. Le joueur actif choisi le type de ressource d’enchère et peut surenchérir.
- Modifier le marché (Optionnel) : Chaque joueur peut augmenter ou diminuer de 1 sur le tableau boursier un des 2 types de valeurs associée à son personnage. Le joueur actif peut agir sur les deux types.
Lorsque l’on aura pris sa première tuile d’action, on jouera son successeur, en choisissant parmi deux. Chaque successeur a un symbole et s’il correspond avec celui de votre plateau joueur, vous aurez un bonus (une possibilité de jouer en bourse en plus, de faire des relations ou d’activer votre pouvoir de personnage). Mais chaque successeur a un pouvoir associé, parfois positif, parfois négatif et éventuellement un bonus à ajouter dans votre fondation.
Lorsque l’on changera de siècle, on marquera des PV selon l’objectif de ce dernier et on améliorera une série de zones de paie (les relations, les valeurs en bourse, l’exploration). Cela signifie que ce que l’on aura investit dans les siècles précédents se bonifiera avec le temps et l’inflation. Somme toute quelque chose de très normal et naturel (historique).
En fin de partie, on validera une série d’objectifs placés petit à petit durant le jeu et on gagnera des PV via son argent restant, ses ressources et les objets de famille collectés.
L’explication de toute cette gestion et détail d’actions prend beaucoup de temps à la première partie. Il vous faudra donc y revenir pour avoir la pleine conscience de chaque action en ayant découvert les plaquettes améliorée des siècles suivant. L’anticipation des événements et le positionnement dans l’ordre du tour est important.
Mais toute une série d’actions sont importantes et urgentes dépendant des objectifs piochés, des événements à venir ou des actes des autres joueurs. C’est ce qui fait la force de Legacies, ce choix permanent qu’il faut faire pour bien prendre ses voies de développement selon le moment. Le fait de devoir d’abord jouer de ses cartes avant d’arriver sur les tuiles d’actions communes permet de « travailler » sur son réseau et se famille avant de sortir sur le monde. C’est bien fait et très utile.
Pourtant, Legacies souffre de défauts, liés auto-édition sans doute. Niveau matériel, on a eu droit à la version Deluxe et il faut dire que l’argent manipulé est sans doute le plus beau qu’il m’ait été donné de voir avec ses petits lingots. Par contre, le plateau central double couche n’a pas dû être encollé avec un produit pouvant gonflé et les différences de température font gonfler ce dernier. Rien d’incapacitant mais c’est flagrant et dommage sur un Deluxe. L’équilibrage des nombreuses cartes (il y en a vraiment beaucoup) pose parfois question. Mais le plus marquant c’est la durée de jeu avec 1 h par joueur, cela nous a semblé excessif et un avis externe aurait sans doute pu épurer certaines choses. Heureusement on reste actif durant toute la partie et la lourdeur ne se fait sentir que sur la dernière heure.
L’auteur a fait un boulot incroyable en proposant un tel volume de cartes, mais elles sont inégales et le tirage fait beaucoup dans certains moment (une action cherchée sur une carte ou le pouvoir utile d’un successeur). Logiquement cela se lisse sur la partie et on a vu que les plus chanceux ne sont pas nécessairement les vainqueurs (car il y a des actions d’attaque des autres joueurs). La possibilité d’échanger sa carte en main avec une de celles de la main commune permet de se donner une vraie souplesse (et c’est une très bonne idée).
Legacies est un jeu très complexe dans ses règles, même si sa mise en place est claire une fois que l’on est dedans. La gestion de la bourse est primordiale car elle permet de gagner de l’argent sur les valeurs associées à son personnage dans un premier temps, mais elle risque d’offrir des PV aux adversaires qui vous achètent vos objets de famille. Il faut donc veiller à la faire baisser à temps pour ne pas voir un joueur s’envoler. C’est plein de bonnes idées, mais avec quelques folies qu’un éditeur non auteur auraient peut-être régulées (alors qu’on est en plein 19ième siècle, on a un « réfugié extra-terrestre » avec qui on peut nouer des relations… petite folie d’un fan de SF Jason ? 😊 ).
Le temps de jeu sera un problème pour beaucoup et c’est vraiment dommage car on a ici un jeu plein de subtilités et qui donne envie d’y revenir… Mais pas tout de suite, car il faut que l’envie passe au-dessus du rappel du temps d’investissement nécessaire. Legacies est à découvrir lors de vos WE jeux, quand vous avez le temps devant vous. A une épure près, on serait sur un incontournable de l’année, en l’état il reste un des très bon jeu de l’année qui nécessite juste un investissement en temps. Pour un jeu auto-édité c’est déjà une excellente réussite ! Espérons que Jason Brooks ne s’arrêtera pas là et qu’il valorisera son expérience.