Horseless Carriage

Que faut-il penser quand on éditeur semble ne pas se soucier des joueurs lorsqu’il réalise des jeux ? Quand la qualité d’un jeu est plus faible que bien des protos mais avec le prix proche d’un jeu de figurines ? Quand le design s’arrête à la face de la boîte de jeu (et encore celle « Avant » car l’arrière est oubliée et blanche) ? Quand la notion même de « règle du jeu » est méprisée au point de se demander si les gens qui l’ont réalisée voulaient qu’on joue à leur jeu ? Est-ce de l’amateurisme, de l’incompétence ou de l’orgueil face à un produit qui ne vise qu’une niche minuscule de joueurs ? Quelle désolation pour le joueur qui, malgré toutes les entraves, parvient à y jouer et qui trouve ses mécaniques de qualité, rageant intérieurement de la désinvolture mise par l’éditeur pour sa réalisation. Une marque de fabrique doit-elle être la faiblesse éditoriale ?
Horseless Carriage est un jeu de Jeroen Doumen et Joris Wiersinga, deux des fondateurs et les actuels dirigeants de Splotter Spellen la maison d’édition néerlandaise qui propose le jeu. Jan Lipinski propose les illustrations, après (ou avant avec les délais actuels) Terracotta Army et John Company (seconde édition).
Dans Horseless Carriage, on se retrouve aux débuts de l’automobile et le développement de lignes de productions pour répondre aux demandes grandissantes d’un public désirant de plus en plus de sécurité, confort et technique dans les voitures qu’il achète. Ces premières carioles sans chevaux se modernisent en même temps que les lignes de production, tandis que les concessionnaires se mettent au marketing pour toucher un public de plus en plus large.
Une partie va prendre de X à 7 manches, X étant lié à un timer diminuant avec le temps et selon les actions des joueurs. Le plateau central comprend essentiellement une tableau de 8 sur 8 cases, chacune représentant une niche d’acheteurs (et leur demande), tandis que des subdivisions (diagonales, verticales et horizontales) auront des impacts sur les demandes et les ventes.
Dans chaque manche, on commencera par une préparation des joueurs. Un développement selon les R&D disponible chez chaque joueur et une définition de l’ordre du tour / de vente selon sa position sur un tableau annexe (Gantt). Vient ensuite ce qui fait 70 % du jeu, un Tetris !
Chaque joueur dispose d’un plateau « usine » (plutôt un gros entrepôt) avec un dock de (dé)chargement, de 12 cases sur 12, dans lequel il va installer tout ce qu’il désire (sans rien payer) pour construire et vendre des voitures. De base, les règles de placement sont simples : tout doit être adjacent à une pièce présente (au moins sur une case) ou avec le deck de chargement. Puis viennent les règles annexe qui font tout le sel du jeu :
- La chaine de montage contient 4 « direction », des types de choses à développer (de A à D). Cela représente les désideratas des acheteurs et plus on propose de choses qu’ils veulent, plus on vendra à un bon prix dans les niches du plateau central. Pneus, peinture, klaxon, carrosserie, moteur spécifique, sont autant de choses que l’on placera adjacent à notre chaîne. Ces directions fournissent des reconnaissances indiquées par des flèches colorées servant de lien éventuel entre nos stations de production.
- Les concessionnaires doivent être adjacents à une ligne de production (qui ne peut d’ailleurs exister sans lui).
- Les bureaux de marketing doivent être adjacents au concessionnaire. Ils permettront d’augmenter la portée pour trouver des acheteurs lors des ventes.
- On augmentera la taille de l’usine après chacun de nos tours d’un plateau (avec dock) de 6 cases sur 8.
Ce montage visant à rentabiliser l’espace du plateau a un intérêt beaucoup plus large que le simple remplissage. Ceci est en lien avec la phase suivante, la vente.
Le plateau central est bordé par deux pistes de demandes des acheteurs, représentant leurs exigences. Chaque colonne/ligne de 2 cases du plateau représente un niveau d’exigence allant de 0 à 4 (au début). Autrement dit, pour aller vendre dans le coin supérieur droit du table (4 cases) il faut des voitures qui offrent 4 spécificités de chaque pistes aux acheteurs exigeants, tandis que le coin inférieur gauche ne demande aucune spécificités. Evidemment, le prix de vente (les PV) s’en ressent. Il faudra donc développer son usine pour aller vendre avec le plus de spécificités (au meilleur prix), sachant que les exigences augmentes dans le temps.
Pour construire des voitures avec ces spécificités, il faut y avoir accès avec notre centre de recherche et développement. En avoir plus qu’un seul est rapidement une nécessité, sauf qu’un twist de positionnement dans la piste d’ordre du tour permet de profiter (espionnage industriel ? 😊) des recherches des autres joueurs. Hélas, bien placé dans l’espionnage signifie mal placé dans la vente (on ne peut pas gagner sur tous les tableaux).
Ces pistes de développement changent de manche en manche (il y en a 5) selon les avancées des joueurs sur celles-ci. Il est possible de « contrôler » l’arrivée de ces pistes en s’assurant du développement des autres joueurs par la dépense de R&D à leur place. Etrange de prime abord, on comprend son importance quand on veut favoriser une piste plutôt qu’un autre en évitant de se développer sur toutes les directions (A-D).
La vente se fait en récupérant les voitures d’une niche (case) à la fois, dans la limite de la portée de marketing d’un concessionnaire. Cela représente une zone de vente de 2,4 ou 9 cases. Il faudra aussi améliorer sa capacité d’assemblage pour ne pas vendre qu’une voiture par manche et par ligne de production.
Les lignes de productions pouvant partager les stations de montage (pour peu qu’on respecte quelques règles), les concessionnaires partagent les bureaux de marketing, ou les station de montage (moyennant d’autres micros règles), vous comprenez que l’on passe quelques minutes à penser à son développement du tour… mais aussi (et surtout) du(des) tour(s) prochain(s).
C’est les 30 autres % du jeu que de voir comment se développe les demandes des acheteurs, ce que vont fournir les autres joueurs dans les manches à venir et sur quelles niches il y aura un combat de positionnement dans l’ordre du tour de vente.
Si la fin du jeu n’est pas déclarée, chaque joueur décidera d’un cadran dans lequel ajouter des acheteurs qui demanderont chaque fin de manche à disposer de voitures neuves. Ce choix implique aussi un accélération du temps de jeu sur base de marqueurs temps placés sur les cartes. C’est un moment de manipulation un peu fastidieux, mais avec beaucoup d’impact. Il faut aussi savoir que l’on peut construire des camionnettes ou des voitures de sport dont le prix de vente est accru, mais disposant d’une demande moindre que les voitures traditionnelles.
Tout ceci fait de Horseless Carriage un jeu riche, doté d’une forte rejouabilité et interaction (une fois les impacts de ses choix intégrés), mais au design et réalisation en deçà de ce que son prix sous-entend. Si la mécanique est plus intéressante à vos yeux que le matériel et le visuel (fans de 18XX bonjour), ce jeu est fait pour vous. Si vous cherchez un jeu qui émerveille vos yeux, votre sens tactile et que vous aimez être embarqué dans une histoire/un monde cohérent (quand on vend des voitures avec des roues avant d’y placer un klaxon par exemple 😊 ) vous passerez vite votre chemin sur la vue de quelques photos.
Nous avons eu l’impression de paraphraser une pub Mir Laine (« c’est doux c’est neuf » pour les trop jeunes) à chaque fois qu’un joueur passait près de notre table… « C’est un proto ? Non, c’est un Splotter ». Une marque de fabrique !