Pax Pamir (Seconde Edition)
J’avais envie de vous présenter Pax Pamir (seconde édition), qui est désormais disponible en VF grâce au gros travail de traduction (il y a beaucoup de cartes et beaucoup de fluff sur celles-ci) de 2 Tomatoes Games, des Espagnols qui traduisent (et parlent) en français. Mais tandis que j’écrivais la description du jeu, j’avais un sentiment de déjà-vu. Petite recherche sur la page FB et bingo, j’avais déjà décrit le jeu il y a deux ans, avec sa sortie en VO. Je vous renvoie donc sur cette page (https://www.facebook.com/ExpertGameAward/posts/2074713056156801) pour le découvrir, en faisant fi des remarques sur la langue de Shakespeare.
Puisque j’ai le temps et l’espace pour papoter avec vous, autant en profiter pour parler d’un des traits de caractère de Pax Pamir, cher aux jeux de Cole Wehrle, le King Making. Si vous ne connaissez pas le terme (est-ce possible ?), il s’agit littéralement de « Faire le roi », autrement dit qu’un joueur désigne le vainqueur de la partie par ses actions.
Pourquoi un joueur le ferait-il ? C’est plus parce que sa partie est terminée (il n’a plus d’espoir de victoire) que parce que c’est un mauvais joueur qui ne vous aime pas (il y en a, mais vous ne faites pas beaucoup de parties avec, n’est-ce pas ? 😊 ). Tous les joueurs participent par leurs actions à désigner le vainqueur (chaque choix a un impact sur le jeu), mais dans le cas du King Making, c’est plus flagrant, car le joueur n’ayant plus d’intérêt de victoire dans la partie, toutes ses actions découlent d’un choix d’aider ou d’ennuyer un des joueurs.
Ce King Making est forcé, que le joueur le veuille ou pas, car deux options s’offrent à lui :
- Jouer dans son coin sans vouloir influencer les autres, comme s’il était encore en course pour la victoire. Ce faisant il décide d’être neutre et finalement choisi d’aider le joueur déjà devant, le vainqueur le plus potentiel lié aux précédents décomptes. Son inaction est un choix qui fait du King Making. C’est un peu comme voter blanc, votre absence de vote renforçant le plus fort.
- Jouer pour ou contre un joueur. Qu’il décide de renforcer sa faction commune avec un autre ou qu’il attaque les positions d’un joueur spécifique, il risque fort de faire basculer le jeu pour ou contre un joueur et ainsi participer à la désignation du vainqueur.
C’est donc une somme nulle dans les choix du joueur largué qui réalisera un King Making quoi qu’il fasse. Dur, non ? Surtout que c’est vraiment une pratique qui, aujourd’hui, est hyper mal vue par les joueurs (dont moi en toute honnêteté). Pourquoi ? Mais car elle annule les efforts de jeu réalisé pour prouver au monde (enfin, ceux autour de la table) que vous êtes le meilleur et que vos choix tactiques sont ceux d’un vainqueur. Gagner ou perdre par King Making, c’est vous spolier de la partie, en lui ôtant toute sa saveur.
Tout le monde a connu des parties qui se terminent par « Tu gagnes, mais uniquement parce que XXX m’a attaqué / t’a aidé / a joué n’importe comment ». Frustration, car on ne « mérite plus » la victoire. C’est si important aujourd’hui de « mériter » la victoire que le jeu passe un peu après, devient uniquement le catalyseur de votre talent. C’est certainement plus vrai pour les joueurs experts qui investissent 2 heures et plus dans une partie que pour un jeu vite bouclé en 15 minutes avec les enfants. On investit du temps, de l’énergie neuronale, on ne veut pas se faire voler une victoire.
Mais se la fait-on vraiment voler ? Le jeu et toute sa préparation n’inclut-il pas l’arrivée à ce King Making ? Après tout si un joueur se retrouve largué, c’est parce que vous avez tout fait pour prendre assez d’avance et le mettre hors-jeu. Ce n’est pas de sa volonté propre, peut-être une part peut être lié à sa méconnaissance du jeu ou un manque de niveau, mais ce n’est pas lui qui le voulait, c’est vous. Une partie du boulot est donc fait et la fin du jeu dépendra encore de vous. De votre image durant la partie, que ce soit votre langage verbal et non verbal lors de sa déchéance, mais aussi de l’image globale que vous trimbalez avec vous depuis plusieurs parties. Mais il n’y a pas que cela, la négociation, l’influence, la pitié, la manipulation, la menace, sont autant d’outils que vous devrez ajouter à votre panel de compétence pour gérer la fin de jeu si un des joueurs est en position de faire du King Making. Ne vous en déplaise, cela fait aussi partie du jeu.
Ce qui est marrant, c’est que pour un jeu de société cette option est désormais mal perçue, comme si elle ne devait pas exister. Or, elle est présente partout autour de vous, dans pratiquement tous les jeux télévisé d’opposition. Voyez Koh-Lanta la fin de plusieurs semaines de jeu se fait sur les poteaux. Il y a souvent un des finalistes qui a une meilleure aura que les autres, le vainqueur potentiel. S’il ne gagne pas lui-même aux poteaux, le décideur l’éliminera alors que de l’avis du public, c’est sans doute le « vrai vainqueur » du jeu. Vu les résultats d’audience de cette série, le King Making ne gêne pas les spectateurs… mais ce n’est peut-être que quand ils ne sont pas visés. 😊
Cole Wehrle a réalisé des conférences où il défend (en anglais) le King Making, l’appréciant (ou plutôt l’acceptant) pour ce qu’il apporte et ce qu’il est. Anciennement les jeux dont le vainqueur pouvant être décidé par d’autres étaient la norme, pas gênant pour un sou. Je ne compte plus mes parties de Risk, mais Diplomacy est aussi un jeu qui tient sur l’influence, les accords et les trahisons, il tient même principalement son plaisir sur ce domaine d’influence. Les premiers échos de Oath, le dernier jeu de Cole Wehrle, assume aussi le fait que le vainqueur va être choisi par des faits de jeu, par un ou des joueurs à la ramasse. Mais de l’avis des joueurs, le vainqueur apporte peu tellement le plaisir du jeu prime.
C’est peut-être cela que certains jeux avec King Making ont perdu en chemin, le plaisir du jeu. Dans Diplomacy on jouait des après-midis entiers mais on n’en retirait pas, des semaines plus tard, de souvenir du gagnant, mais bien du jeu en lui-même, des actes des joueurs. C’est ce que doivent apporter les jeux, ou, comme dit Philippe Pollet-Villard, « Dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru, et les détours surtout ».
Alors, revenons à Pax Pamir, qu’apporte-t-il vraiment aux joueurs quelques jours ou quelques semaines après la partie ? Sur mes diverses parties depuis 2 ans, j’avoue me rappeler des bribes des plus anciennes, des sensations de jeu toujours positives, mais aussi les vainqueurs. Pourtant j’ai été en position de désigner le vainqueur (j’ai choisi la neutralité, donc de favoriser celui en tête), mais l’aventure m’a semblé malgré tout plaisante. Sur les dernières, une épique gagnée en 28 minutes restera dans mes souvenirs, pas pour la victoire (que je juge liée aux erreurs des autres joueurs) mais pour l’ambiance qui a mené à celle-ci. Au final, qu’importe le côté du jeu rencontré, j’en ai tiré du plaisir.
En cours de jeu, les options de développement, les choix d’espionner ou d’attaquer, de jouer dans une autre faction ou d’appuyer le plus fort, j’ai l’impression d’avoir joué avec réflexion et intelligence. Lorsqu’un joueur était clairement perdant, j’ai veillé à ne pas attirer son attention, à détendre l’atmosphère pour l’inciter à choisir la neutralité, étant en tête et à même d’assurer ma victoire. Pourtant, j’avais analysé mon jeu et je savais comment moi-même j’aurais pu être diminué et ainsi perdre la partie. Je n’avais juste pas envie que les autres le remarque et surtout aient envie de mettre ce type de plan destructif en place. Ma partie a donc compris une gestion de fin de jeu et de susceptibilité des autres joueurs, cela fait donc clairement partie du jeu.
C’est en ce sens que vous devez aborder Pax Pamir, à plus de deux joueurs, comme un jeu ayant deux phases. Une de mise en place de votre Cour politique, où vous placez vos pions, préparez vos coups pour prendre l’ascendant sur une partie des joueurs. Une deuxième de manipulation latente, pour garder les ennemis déchus loin de votre chemin ou en les menant vers les plates-bandes de votre adversaire encore en jeu pour qu’ils lui mettent suffisamment de bâtons dans les roues pour vous permettre de le coiffer au poteau. Si vous ne voulez pas aborder pas Pax Pamir avec de la tchatche et de l’influence, vous ne vivrez pas vraiment, ni totalement l’aventure et risquez de finir frustré ne voyant qu’un King Making injuste. Acceptez simplement qu’il soit inclus dans la boîte sans jamais être cité et vous profiterez vraiment du voyage et pas de la destination. 😊