Virtù

Un prix décerné pour les jeux Expert par des Experts

Virtù

J’adore quand je vois l’évolution d’un éditeur au fil des années. Lors de leur création, il y a trois grandes écoles : soit on commence avec un premier jeu auto-édité par KS, soit on prend la voie des localisations de jeux internationaux, soit on réédite des jeux à succès avec un nouvel artwork. Si la première est plus sécurisante, la deuxième voit plus d’éditeurs s’asseoir sur le long terme, la troisième allie sans doute les deux. Alors quand un éditeur passe de la réédition à la localisation puis édite enfin son premier jeu expert en première presse, je suis heureux.

Virtù est le premier jeu de Pascal Ribrault qui l’a longtemps fait tourné sous le nom « Les maîtres de l’Italie » avant de trouver un accord avec l’éditeur Super Meeple et le retoucher pour arriver à la version actuelle. Quatre illustrateurs signent le jeu : R. Gewska, Svetlana Pikul, Alena Strepanova et Fabrice Weiss. Les trois premiers signaient ici leur premier jeu, sans doute drivés par Fabrice Weiss qui commence à avoir un beau palmarès de jeux signés.

Virtù vous propose de jouer une des familles des principautés de l’Italie renaissante (Florence, Milan, Naples,…) et d’étendre votre main mise sur le pays, que ce soit par la conquête (armée ou négociée) ou les arts. Un plateau central tout rikiki représente l’Italie, juste pour déplacer des troupes et visualiser qui possède quoi. Le cœur du jeu se passe ailleurs, via le plateau joueur et ses 5 actions placées en horloge que l’on activera au fur et à mesure des tours.

Le jeu, prévu pour 2 à 5 joueurs, a un nombre de manches variables car il est lié aux actions des joueurs, axé sur une très grande interactivité. Il y aura 3 moyens de mettre un terme à la partie, en prenant possession de toutes les villes du plateau, avec un joueur ayant le contrôle de 8 villes ou en atteignant le dernier niveau du patronage (le soutien culturel). Si le patronage est difficilement contrable, ce n’est pas le cas des prises de villes du plateau de jeu qui devient le lieu d’un affrontement entre les joueurs. On peut ainsi retarder la fin du jeu quand on n’a pas les PV nécessaires à la victoire et que l’on espère refaire son retard en quelques coups. 😊

Lors de chaque manche, chaque joueur va faire une action (phase été) ensuite on passera à une résolution et achats (phase hiver). L’action de la « phase été » consiste à déplacer son marqueur dans le sens horloger de 1 ou 2 cases (voire plus en payant ou avec des bonus divers) sur les 5 du plateau joueur. On active alors l’action présente et on paie en ressource. Il n’y a pas à proprement parler de ressources dans le jeu, rien de matériel, il s’agit donc de cartes que l’on utilise (retourne) et qu’il faudra réactiver pour les récupérer. Il existe plusieurs types de cartes à ressources :

  • Les lieux : associés à une ville tenue par le joueur sur la carte. Réactivés par une action du plateau.
  • Les titres et Alliances : Achetés lors de la phase hiver. Réactivés par une action du plateau.
  • Les cartes de personnage : Achetés lors de la phase hiver. Ils sont utilisés et non retournés si placés sur la case d’action ou réactivés en se déplaçant s’ils sont placés sur le bord du plateau joueur en tant que conseillers.

Si le plateau joueur a 5 actions par défaut (placées différemment selon les familles), le joueur pourra améliorer et changer de position (voire se passer de certaines actions) par une habile gestion de cartes de personnages. En plaçant certains personnages avec un symbole d’action, on améliore l’action en lui associant des ressources automatiquement. Ces ressources sont uniquement utilisables avec cette action, mais elles ne s’usent pas d’un tour à l’autre. Il est même possible de placer une deuxième carte sous la première pour lui associer aussi ses ressources. Les conseillers (placés sur le bord du plateau) sont plus malléables, mais doivent être réactivés. Une des forces tactiques du jeu est de pouvoir déplacer les conseillers d’une zone à l’autre selon les besoins d’action ou de ressources. Quelques règles y sont associé, ce qui force à une gestion fine et une anticipation très intelligente.

Les actions du plateau joueur sont :

  • Prendre une ville adjacente par la négociation : Nécessite des ressources Couronne selon la force de la ville (peut être modulée par un agent). Les villes pirates ne sont pas prête à négocier et s’il faut voyager par mer, il faudra un bateau.
  • Monter un siège sur une ville. Nécessite de déplacer des troupes (une ressource par troupe) par terre ou mer (ressource cheval ou bateau). Il faudra plus de troupes que le niveau de la ville (peut être modulée par un agent). Le résultat du siège se fera au début de l’hiver.
  • Favoriser les arts : En participant à un patronage, on dépense de l’or et des Couronnes et/ou des Croix pour progresser dans la piste associée et libérer des Personnages clés ou des lieux uniques.
  • Gouverner son royaume : Réactiver les lieux / titres / alliances utilisées en payant des Couronnes ou Croix.
  • Intriguer : En payant des Masques, envoyer un agent déforcer ou renforcer un lieu ou une alliance pour faciliter (si on la vise) ou empêcher (si les autres la vise) une annexion / attaque en changeant le niveau à atteindre pour y parvenir. Ils peuvent aussi empêcher un joueur de réaliser une action de son plateau de jeu s’il s’y trouve.
  • Commercer : Utiliser ses bateaux pour gagner de l’or.

Il n’y a que 5 places sur le plateau du joueur, mais voici 6 actions ! Il faudra donc éventuellement se passer de l’une d’entre elles en la replaçant par une autre. On voit souvent les joueurs passer par l’annexion négociée dans un premier temps, avant d’écraser cette action par une autre quand celle-ci n’est plus possible (on ne peut annexer une ville tenue par un joueur ou un port pirate).

Lors de la phase hiver, on résoudra les sièges (qui peuvent être complexes si deux joueurs attaquent la même ville), puis on paiera pour ses troupes sur la carte (à partir de 3) et on achètera de nouvelles cartes /titres /alliances dans la limite de ses moyens. Il est possible de prendre des crédits mais ils bloqueront une action de son plateau jusqu’à remboursement. Mais surtout on pourra réorganiser ses cartes personnages sur et autour de son plateau, avec quelques limites intéressantes. On redéfinit l’ordre du tour selon les villes contrôlées par les joueurs (plus de villes = premier).

Quand une des conditions de fin de jeu est atteinte, on comptabilise les points de chacun. Cela représente les villes conquises, le niveau de patronage atteint, le nombre de symboles Croix dans son jeu, les alliances et les points directs sur les cartes. Le premier l’emporte ou au besoin on partage la victoire.

Virtù est un jeu d’affrontement hyper interactif et, en un sens, si les joueurs décident de ne pas s’attaquer ou se frotter (en ennuyant un joueur avec un agent modifiant la force d’une ville ou en bloquant une action), ils passeront à côté d’une part de ce qui fait son charme. Sa gestion en roue d’action modulable est un exemple en lui-même, surtout associé à la réorganisation de son plateau qui me donne envie d’y revenir simplement en vous en parlant. Le fait de pouvoir l’emporter sans être le plus puissant sur la carte de l’Italie rend les moyens de développement intéressants et nécessitent de s’occuper du plateau du voisin avant de mettre fin au jeu.

Malgré tout, quelques points peuvent être des freins à la partie. La longueur du jeu en premier, liée à deux faits. D’abord que les joueurs peuvent se contrer les uns les autres, obligeant de réaliser plus de tour de la roue d’action pour atteindre un objectif. Ensuite par la durée de la phase hiver qui casse le rythme de par la réflexion qu’elle induit (réorganisation et achat) et qui est super intéressante… pour peu que l’on soit celui qui cherche à acheter ou pour qui la réorganisation est primordiale ce tour. Comme tout le monde joue en même temps et que réfléchir n’est pas fort actif, on en vient souvent à demander si tout le monde a fini pour poursuivre. Les téléphones portables finissent vite par sortir des sacs, surtout à 5, quand on n’a soi-même rien à faire / dépenser. Si l’expérience accélère la phase, elle prend malgré tout plus de temps que celle d’été, plus lumineuse.

Le deuxième point gênant est la possibilité de base de se liguer contre un joueur en y plaçant tous des agents, bloquant pratiquement toutes ses actions. Cet anti-jeu anti-plaisir fera qu’un joueur (sans doute en tête) ne fera plus rien durant 2-3 tours (le temps de faire une action d’intrigue pour enlever 1 ou 2 agents), sans empêcher que les joueurs recommencent dans la foulée. Mettre ainsi un joueur hors-jeu n’est pas dans mon ADN et je ne peux que trop vous conseiller de prendre en règle principale celle optionnelle de limiter à 1 agent bloquant par plateau de joueur. C’est largement suffisant pour forcer une réflexion pour lui trouver une solution de secours, sans le sortir du jeu à coups de batte.

Si Virtù fonctionne à 2 (avec une règle spécifique que je n’ai pas testée) et 3 joueurs, préférez-le à 4 ou 5 avec des joueurs aimant les coups de couteau dans le dos et les intrigues. C’est sous cette forme qu’il est le plus truculent, pour peu que vous ayez 3 bonnes heures devant vous pour vous y adonner. Vous en garderez alors un souvenir plus fort qu’avec un jeu d’achat/vente ou collecte/contrat classique. Faire couiner les autres et l’emporter est tellement jouissif ! 😀

Merci Pascal d’avoir pris le temps de développer cette belle mécanique et bravo à Super Meeple pour son premier jeu Expert propre, en espérant que tous deux poursuivront dans cette voie.

 

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