Pampero
Quelqu’un me disait il y a peu qu’il trouvait que les jeux de société arrivaient au bout d’un chemin. Que les mécaniques sont usées à force d’utilisation, combinées pour chercher un soupçon de nouveauté, tandis que les thèmes parlent de moins en moins à notre réalité, tout devenant excuse pour donner une pointe d’évasion un peu forcée (quand c’est réellement une aide au jeu et pas une fausse excuse). Mais est-ce vraiment le cas ? Ne peut-on faire du neuf avec du vieux au bout du monde ?
Pampero est le premier jeu réalisé tout seul de Juliàn Pombo, après avoir œuvré sur le mode solo de Lisboa et CO2 de son ami Vital. C’est APE Games, un éditeur américain moins connu chez nous, qui l’édite via KS, tandis qu’Intrafin s’occupera de la VF (il sera en démo à Cannes). Vital a convaincu son illustrateur favori, Ian O’Toole de réaliser les belles réalisation de ce jeu.
Le propos de Pampero est l’électrification de l’Uruguay, de ses zones les plus reculées à ses complexes commerciaux et touristiques. Cela passe par l’utilisation massive du vent froid de la pampa, via des éoliennes, le fameux Pampero. La grande carte qui s’ouvre devant vous représente l’Uruguay, séparée en 3 zones (A,B et C) elles-mêmes subdivisées pour former 6 régions. On place de manière dispersée des emplacements pour construire éoliennes et tours électriques, mais aussi des contrats à réaliser représentant des demandes électriques locales.
Chaque joueur a deux plateaux personnels, l’un pour y placer ses cartes (les actions à réaliser) et l’autre pour les contrats réalisés (menant à une rente). En théorie on pourra faire 8 manches de 3 actions, mais dans les faits il n’y en aura réellement que 7 voire 6 car une action, si chaque joueur la réalise, qui limite les manches. Toutes les 2-3 manches il y a une étape de scoring complémentaire, un objectif à atteindre dont le thème sera tiré au sort en début de partie. Ces objectifs vont guider la partie dans son développement et sont globalement le seul facteur de rejouabilité du jeu, lui redonnant une manière de se développer propre à la nouvelle partie.
A son tour de jeu, on a le choix entre 3 actions, deux nulles (de transition – récupérer ses cartes – ou de tristesse – prendre une batterie) et une normale, à savoir réaliser une action en posant une carte sur son plateau. La carte est à choisir parmi une main évolutive (on peut en acheter de nouvelles) et la poser sur son plateau permettra (une fois le coût payé) de la réaliser.
Le plateau joueur comporte deux lignes et on place toujours une carte sur la ligne de son choix, le plus à gauche. Plus on va vers la droite, plus le prix diminue, mais la chose la plus intéressante est que chaque emplacement (ou presque) dispose de 2 « positions », définissant la zone sur laquelle on va réaliser l’action de la carte (quand c’est associé à une zone). La A coute moins que la B qui coûte moins que la C. Comme l’argent représente les points de victoire et qu’il est difficile d’en avoir en début de partie, c’est tout naturellement que l’on commence à développer son jeu sur la zone A en glissant doucement (par moyens, mais aussi nécessité la A étant « pillée ») vers la B puis la C.
Les 8 cartes d’action de base comportent 3 actions majeures (Construire Eolienne / Tour électrique et Réaliser un Contrat) et 2 mineures (voire jamais utilisées – Déplacer un Bulldozer et prendre un emprunt). On tournera donc sur les actions majeures (présentes sur 6 cartes de base) sur l’ensemble de la partie, en ne récupérant qu’une carte dans sa main à chaque fin de manche, obligeant à un moment donné à réaliser une action de récupération, accélérant la fin de jeu.
Les actions majeures vont donc rythmer votre partie, vous désirerez faire certaines le plus souvent possible (selon vos moyens) et d’autres seront faites par dépit, pour faire avancer le Schmilblick.
- Construire une Tour électrique : Sans doute l’action la plus « agréable » ou rentable du jeu, qui donne l’impression que l’on développe sa partie. Les tours sont obligatoires à construire pour jouer (pas d’option pour s’en passer dans le jeu), car elles donnent plein de bonus :
- Elles libèrent des zones de développement du plateau de contrat
- Elles donnent accès à des batteries
- Elles sont nécessaires pour réaliser des contrats
- Elles offrent deux bonus one shot / continus / de fin de partie
- Construire une Eolienne : L’action qui donne envie de base mais qui est au final tristoune car, bien qu’au centre du jeu, c’est une action d’une faiblesse terrible (en comparaison aux deux autres), puisque l’on ne récupérera qu’un peu d’énergie de la sorte (plus en C qu’en A) et… c’est tout. ☹ Pas d’action complémentaire, avantage ou chargement de batteries, alors que c’est le centre de l’histoire. On aurait aimer les voir faire un truc de cool et pouvoir y placer un petit bonus ciblé ne sauve pas l’affaire.
- Réaliser un contrat : On dépensera de l’énergie ou des batteries pour acquérir un jeton à placer sur un tableau façon labyrinthe, avec ses pièges (coûts supplémentaires) et ses bonus (d’écrasement). Ils sont nécessaires pour le jeu puisqu’ils nous permettront de faire avancer notre pion « d’abonnement » nous assurant une rentrée d’argent à chaque fin de manche. Toute une règle de récupération sur le plateau général permet de donner un poil de réflexion dans leur choix, avec des contrats liés ou des bonus de vidage. On en a besoin, donc on les fait et essaie de les rentabiliser.
Dans le jeu, il y aura 4 types de contrats. Les normaux ( coût sur le plateau en énergie), les isolés (coût sur le jeton en énergie et/ou batterie), les solaires (acquisition rare via un expert à acheter ou un bonus de tour électrique coût en énergie ou batterie) et les pays voisins (carte au lieu de jeton avec coût en batterie). On les fera un peu tous, mais deux sont plus rentables, les isolés et les étrangers. Les gains associés à ces contrats sont supérieurs aux standards, d’autant lorsque l’on a accumulé assez d’énergie pour charger des batteries à chaque fin de manche.
Ces trois cartes ont une spécificité : Elles sont liées à un élément du plateau (bulldozer ou Tour électrique). Si vous utilisez une de vos pièce pour réaliser l’action, l’argent part à la banque, si c’est celui d’un autre joueur, il prendra votre argent. Lorsqu’un bulldozer est utilisé pour une construction, il doit être déplacé. Quand vous limitez le coût à très peu, il peut être acceptable d’utiliser le matériel d’autres joueurs (on leur donne des PV et des moyens), mais dans la plupart des cas vous n’userez que de vos propres objets.
Après avoir fait vos 3 actions, la fin de manche redéfinira l’ordre du tour, vous fera encaisser vos revenus des contrats réalisés, vous permettra de transformer l’énergie accumulée en batterie (on évite de la dépenser du coup) et avancera le marqueur de tour. Quand vient le moment de scorer les objectifs, on pourra utiliser des cartes bonus afin d’emporter une éventuelle majorité. Le premier objectif sera accessible à tout le monde, le second aura une condition de majorité, tandis que le dernier décompte comptera 2 de chaque. Ces objectifs orienteront indéniablement votre partie, même s’il sera impossible de gagner toutes les majorités (surtout à 4). On fera de son mieux et il y a fort à parier que chacun pourra en récupérer un, équilibrant les objectifs.
Au final, Pampero est agréable à jouer, on essaie de développer son jeu en organisant ses contrats et visant ses objectifs. Un « ok game » comme on dit. Pourtant, on a comme un goût de trop peu, l’impression que l’on a raté quelque chose et on se reprend à y retourner pour voir « si ce n’est pas nous », si le manque est lié à notre précédente partie ou s’il y a un vrai soucis.
Après réflexion, je trouve vraiment qu’une partie des actions sont sympathiques, intellectuellement agréables et puis vient un coup plat. C’est ce coup de mou qui nuit à l’ensemble, qui donne ce sentiment d’inachevé. Les éoliennes à l’utilité moindre que de mettre un bulldozer à la casse (gain de 3 énergies soit 3 éoliennes en zone A). L’énergie moins utile que les batteries. Les contrats Isolés plus rentables que les normaux. Deux actions sur 3 faibles. Deux cartes de base sur 8 inutilisées. Des experts moins rentables que des cartes de fin de partie. Un labyrinthe « pour quoi faire » ? Bref, autant de petites choses qui font retomber le soufflé.
Cela ne m’empêchera pas d’y rejouer, mais j’ai peur de garder pour longtemps ce sentiment de « peut mieux faire ». Il me reste cependant un espoir, celui du prototype. Qui sait si certaines choses ne seront pas modifiées d’ici octobre. Les règles définitives ne sont pas encore imprimées, le plateau peut encore être retouché, les contrats revus… et lorsqu’il reviendra sur ma table (car je ne doute pas qu’il s’y retrouve d’ici 8 mois) j’aurai l’impression que l’on m’aura enlevé un poids des épaules et le sentiment que tout le potentiel du jeu se soit déployé, m’électrifiant de bonheur !