Corduba

Un prix décerné pour les jeux Expert par des Experts

Corduba

Je sais que parfois j’ai la chance de découvrir un jeu avant les autres. Que ce soit le proto d’un ami auteur, le jeu de pré-production fourni avant le KS, le jeu final envoyé une semaine ou un mois avant la sortie boutique, c’est une chance indéniable. Parfois cela permet de repérer une coquille dans les règles avant que cela ne soit trop tard (avant production ou simplement avant que le reste du public n’enflamme les réseaux en hurlant au scandale), mais toujours cela permet de se faire un avis et de le partager avant que l’on ne décide de mettre la main à la poche pour acquérir un jeu. Oui, c’est une chance et j’en suis conscient.

Corduba 27 a.C. est le premier jeu de Manuel Martinez Aranda, un auteur sympathique espagnol, édité chez les Editions MasQueOca qui s’occupe principalement de localisations et de distributions pour l’Espagne, le Portugal et le Brésil, tout en réalisant parfois, comme ici, des premières productions. L’illustrateur, Jesús Gutiérrez Llorente, débute aussi dans le domaine ludique, ce qui peut expliquer certains choix graphiques moins lisibles.

Corduba (27 a.C. fait un peu long dans le titre, on se contentera du nom phare pour la suite 😉 ) pose son propos à l’époque romaine, quand les alliances et trahisons entre César et Pompée menèrent à détruire la ville et ses 22.000 habitants. L’ancien site est désormais intégré dans Cordoue, mais à l’époque la ville essayait de se reconstruire sans heurter les maîtres romains en répondant à toutes leurs attentes pour éviter la révolte et la destruction.

Le plateau est divisé en 3 districts (la zone des esclaves, du peuple et des nobles), avec des lignes divisant les districts en morceaux de puzzle (des quartiers dirons-nous) qui encadreront les poses de bâtiments (on ne construira pas en brisant une ligne).  Chaque joueur a un plateau double couche (sympa mais pas vraiment nécessaire) pour stocker ses maisons et experts, comprenant les phases de jeu en rappel. A côté des plateaux cartonnés, 5 plateaux format papier légèrement glacé sont à placer autour du plateau principal. Cela fait un espace énooorme à prévoir (peu de tables sont adaptées) alors que les plateaux glacés sont… peu utiles. Je conseillerais d’ailleurs de ne garder qu’un plateau sur 3 pour stocker les bâtiments (voire aucun pour les plus petites tables), 4 pouvant même être enlevés quand on connaît le jeu.

Le jeu se découpe étrangement. On a 3 manches dans lesquelles se casent 2 ou 3 rondes (3-3-2). Cela signifie que l’on a des gestions qui se feront 3 fois et d’autres 8 fois. Dans une manche, on trouvera :

  • La révélation de l’objectif de fin de manche : Fournir un type de ressource
  • Le nettoyage du marché : du restockage
  • Le salaire : Les experts de chaque joueur produisent leur ressource phare
  • Les rondes : 2 à 3
  • Le nettoyage des entrepôts : Max 9 ressources par joueur
  • La politique : Le premier stricte de développement de chaque district reçoit un sénateur (important)

Dans les rondes, outre des étapes uniques qui seront décrites ci-dessous, il y aura la phase principale qui consistera à envoyer à tour de rôle des travailleurs (de 1 à 3) pour réaliser des actions. Ce sont ces actions qui constituent la partie principale du jeu, le développement des districts. Ce que l’on pourra construire (en respectant des règles de placement) sera ensuite activable pour profiter de l’action du bâtiment. Outre les constructions, des espaces de collecte de ressource sont fixes sur le plateau et accueillent aussi des travailleurs pour obtenir les matériaux de base pour les constructions qui suivront.

Chaque ronde est constitué comme suit :

  • Phase de révolte : S’il y a une révolte dans un district, elle s’étend à un nouveau bâtiment qui ne sera plus utilisable. Si les joueurs ont récolté des marqueurs de révolte, ils sont placés dans des districts (libres ou en révolte) par les autres joueurs (pour bloquer les bâtiments fétiches du joueur provoquant la révolte, mais pas que). Si 3 districts sont en révolte en début de ronde, c’est fin de partie, tout le monde a perdu.
  • Phase de marché : On tire une tuile de modification du marché, modifiant certains prix d’achat/vente.
  • Phase d’action principale : Vous pouvez à tour de rôle réaliser des actions avec vos travailleurs :
    • Construire un bâtiment : Moyennant travailleurs et ressources. En bonus de construction, on peut être le premier à l’utiliser si on a les travailleurs en stock (et qu’on le désire)
    • Utiliser un bâtiment / un espace de production : Moyennant travailleurs.
    • Réclamer un objectif de partie : Moyennant un travailleur pour gagner un sénateur.
    • Passer : Redéfinissant l’ordre du tour.
    • En bonus libre, on peut envoyer son marchand faire des achats/vente au marché et utiliser le pouvoir de son personnage
  • Répondre à la demande de Rome : Uniquement durant la dernière ronde de chaque manche (voir ci-dessous).
  • Vérifier le bonheur : Chaque joueur a deux marqueur, un bien-être et un bonheur et lors de cette phase on compare le bonheur au nombre d’ouvriers + spécialistes du joueur. Il faudra payer en nourriture et/ou argent pour chaque bonheur manquant (du pain et des jeux, cela vous parle ? 😊 ), chaque point non comblé faisant gagner un jeton de révolte et progresser dans cette piste (-1 PV fin de partie à celui en ayant le plus). Les jetons de révolte récoltés feront d’autant descendre le bien-être du joueur, rendant les prochaine vérifications d’autant plus difficiles, puisque le bonheur repart à hauteur du bien être à chaque ronde. Un effet loose-loose se marque dans ce domaine.

La demande de Rome est une des phases les plus importantes du jeu, car elle permet de gagner des Sénateurs. Elle a lieu 3 fois sur le jeu, sur deux thèmes fixes (les offrandes et les militaires) + une variable selon la carte piochée en début de manche. Chacun va placer secrètement un montant d’offrande, de militaires et des ressources de la manche dans sa main (on connaît le stock de chacun) avant de les révéler. Celui qui offre le plus dans chaque thème fixe empoche un sénateur (égalité = rien), dans les ressources il y a un classement avec chacun un bonus selon sa position. Il y a un montant minimum à donner pour ne pas avoir un jeton de révolte avec tout ce que cela implique comme modification du bien-être.

Je parle plusieurs fois des sénateurs et de leur importance, car contrairement à ce que l’on voit de prime abord sur le jeu, il ne tourne pas autour des constructions de bâtiments, mais bien d’eux. Chaque Sénateur représente un point de victoire et il n’y a que cela comme point à gagner dans la partie ! Les constructions ne font que participer à la récupération de ceux-ci dans les points de prestige qu’ils apportent dans un district, sachant que le premier stricte de chacun gagnera 1 sénateur dans chaque manche. On gagne des sénateurs via :

  • Les demandes de Rome sur les Offrandes et Militaires (1 de chaque par manche = 6 en jeu)
  • Les majorités de prestige sur les districts (1 par district par manche = 6 en jeu)
  • Les objectifs communs (1 par joueur + 2 = 4 à 6 en jeu)
  • Le haut des prestiges de district (1 par district = 3 en jeu)
  • Un bâtiment spécial, très cher à l’usage (Un maximum théorique de 5 par bâtiment, mais impossible à jouer dans les faits, peut être 2 à 3 maximum sur une partie)
  • Un malus de 1 pour celui le plus haut dans la piste de révolte

On a donc un maximum théorique (car en cas d’égalité, ils ne sont pas distribués ; que l’on n’arrive pas en haut de chaque prestige de district ; que l’on ne réalise pas tous les objectifs communs) de 24 sénateurs sur une partie. Celui parvenant à en récolter 7 devrait le plus souvent gagner. Cela représente 3 fois un prestige de district + 3 fois la majorité d’une des demandes de Rome + 1 objectif commun. Pour parvenir à cela il suffit de construire 3-4 bâtiments bien sentis (ceux rapportant plus de points de prestige au lieu des moins chers) et de focaliser ses actions pour collecter des offrandes ou des armées afin de tuer l’opposition dans l’œuf (les laissant se battre sur l’autre domaine).

Cette course aux sénateurs, focalisée sur très peu de domaine, rend un peu le reste du jeu comme un mensonge, car ce n’est que du vent, de l’occupationnel. C’est d’autant plus remarqué quand on est en fin de partie et que l’on a des joueurs qui essaient de maximiser leurs ressources pour construire /produire, alors que toutes leurs actions possibles ne modifieront en rien les majorités en jeu. C’est parfois 30 minutes de jeu qui sont.. inutiles !

Il manque des avantages à construire, car, surtout à 3 joueurs, chacun se focalise sur un district, en devient le majoritaire incontesté et y récoltera ses 3 sénateurs sur la partie. Egalité, balle au centre, énergie de construction devenant inutile sauf pour tenter d’arriver en haut de la piste pour le sénateur bonus (mais il est loin et c’est au détriment d’activation des immeubles). On aurait aimé avoir un marqueur de propriété et recevoir un bonus quant on bâtiment construit est utilisé par un autre joueur.

Il y a des micro-gestion de construction, plaçant des maisons dans les cases désormais inconstructibles du jeu (on ne coupe pas les lignes des quartiers), ces maisons libérant des travailleurs supplémentaires (donc plus d’actions), mais comme cela a un coût en bonheur / argent / bouffe pour ne pas prendre des marqueurs de révolte, c’est peut-être une fausse bonne nouvelle pour ne pas tomber en loose-loose. N’ayant pas de sénateur bonus lorsque les maisons sont construites, l’intérêt est plus que faible et les joueurs essaient d’éviter ce qui semblait une mécanique sympathique.

C’est d’autant plus dommage que toute l’information du jeu tourne sur ce que coûte et font les bâtiments. Les tuiles de ceux-ci contiennent l’information, mais c’est tellement petit, pas iconique du tout (ils ont fait le parti du dessin réaliste, du coup on a du mal à lire de quel symbole il est question), que le meilleur ami (ennemi) du joueur est son aide de jeu reprenant tous les bâtiments. Sauf qu’il est recto-verso et que l’on passe son temps à passer d’une face à l’autre façon éventail ! « Que puis-je construire avec mes ressources ? Ok… Mais il sert à quoi celui-là ? Ha ! Je m’en fout. Il y a quoi d’autre qui m’intéresse comme pouvoir de bâtiment ? Ha, oui c’est bien cela… Mais je n’ai pas de quoi le payer ! » et on recommence au début. Avec la connaissance des bâtiments, on gagne du temps et surtout on construit au final seulement ceux utiles à sa tactique (de l’argent, des offrandes, du prestige, des sénateurs), le reste ne servant plus que pour utiliser des ressources et/ou gagner des points de prestige en sus si un joueur fait mine de vous attaquer sur VOTRE district.

Les districts étant rapidement sous contrôle, le reste des actions vise les majorités d’offrande / militaire, sachant que certains personnages/ressources de départ offrent des avantages dans le domaine d’emblée. C’est alors plus compliqué pour les autres joueurs d’arriver à se battre dans le domaine et on a l’impression de lutter contre le courant.

C’est dommage, car l’utilisation de spécialistes qui limitent le coût de construction/production (ils valent 2 ouvriers pour les bâtiments de leur couleur) sans pouvoir aller partout (pas sur les autres couleurs) était sympathique. Sauf que certains produisent directement (en salaire) des armées ou des offrandes, donnant un avantage sur les seuls domaines utiles du jeu (vu que seul les sénateurs empochés comptent).

Si l’on fait la part des choses, que l’on sait que la construction qui est mise en avant n’est pas le cœur du jeu, que l’on connaît les bâtiments pour ce qu’ils valent réellement (et pour ne pas se perdre en lecture éventail), alors on peut commencer à prendre du plaisir à Corduba. Car il existe des moyens d’ennuyer les autres joueurs en prenant leur place et les empêchant parfois de répondre à une demande, à forcer une pénalité, une révolte. Si l’on accepte cette opposition et qu’on la joue à fond, on trouvera le vrai intérêt de Corduba, mais la première partie (si importante pour qu’un joueur revienne au jeu plus tard) risque de faire passer le joueur à côté du jeu. Car il aura cru important de faire de chouettes constructions, car il se sera saouler avec l’éventail, car il aura perdu en ne jouant pas sur ce qui rapporte des PV. C’est un gros risque à prendre et vous obligera de rejouer avec le même groupe de joueurs, encore et encore, pour atteindre le niveau plaisir espéré de Corduba.

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