Alma Mater
Avant, je ne jurais que par les jeux à l’allemande (ce n’est pas une personne bien en chair de ma connaissance qui propose des chopes d’un litre, mais bien d’un type de jeu 😊 ), mais je me rends compte aujourd’hui d’une plus grande sensibilité vis-à-vis de la filière italienne. Est-ce dû à la dolce vita locale ou aux couleurs de l’été qu’affichent leurs réalisations, je ne saurais le dire. Toujours est-il que je suis plus enclin à découvrir un jeu qui me donne du soleil qu’un autre qui tire dans le sombre, surtout dans ces temps où l’on vous invite à rester reclus.
Alma Mater est la sortie de l’année pour les 4 fantastiques italiens : Flaminia Brasini, Virginio Gigli, Stefano Luperto, et Antonio Tinto, qui nomme leur groupe de concepteurs sous le nom Acchittocca. C’est Eggertspiele qui est l’éditeur premier du jeu, à voir si Plan B Games (qui possède désormais Eggertspiele) réalisera lui-même (ce qui serait logique) l’édition francophone. Pour les illustrations, les plus aguerris reconnaîtront rapidement l’œuvre de Chris Quilliams, sans doute par comparaison avec Coimbra, mais l’on ne peut que saluer l’ensemble du travail de l’illustrateur canadien (Archipelago, Azul, Carcassonne, Camel up, Coimbra, Century Golem, Pandémie, …).
Alma Mater nous propose de développer les universités du XVième siècle (imaginez celles de Turin, Louvain, Bordeaux, Poitiers ou Caen) en attirant les meilleurs étudiants et professeurs dans leur domaine (arts, mathématiques, droit, médecine) tout en montrant aux autres l’étendue de votre savoir via vos bibliothèques. Un vaste programme qui se jouera en 6 cycles d’étude.
Lors de votre tour, vous aurez le choix entre activer un professeur (en lui donnant un livre de votre stock) ou utiliser certains de vos 4 maîtres (des meeples, qu’il sera possible de monter à 6 dans le jeu) pour aller faire l’action d’une des cases du plateau (ou d’un de vos étudiants). Il y a alors 3 types de cases :
* Les grises : On n’y va qu’une fois avec sa couleur ; Le premier y allant utilise un seul maître ; Un autre joueur peut y aller en y envoyant un maître de plus que le précédent (2-3…).
* La rouge (l’évêché) : On gagne des sous selon le nombre envoyé ; L’ordre du tour sera redéfini selon le nombre envoyé ici en fin de manche.
* L’orange (le Colloque) : On y place un maître, possiblement plusieurs fois, pour acheter X livres de la bibliothèque d’un autre joueur (prix en haut de l’étagère) et en récupérant des PV pour le livre le plus précieux (sur l’étagère).
Les options sur les cases grises sont assez simples à expliquer :
– Acheter un livre au choix avec éventuellement des dictionnaires (livres jaunes)
– Progresser sur la piste de recherche : en payant le coût (roue noire, 3 fois) ou gratuitement (roue verte, 1 fois)
– Acheter des PV avec de l’argent
– Recruter un étudiant (de la ligne) : en payant le coût en livres. Ils ont un effet immédiat et/ou de récolte ou permanent. Après le deuxième tour, les livres à donner dépendent du niveau de recherche des joueurs (les étudiants veulent aller dans les meilleurs universités).
– Engager un professeur : En payant le coût en livre (différents). Le plus grand coût définissant la couleur du livre nécessaire pour activer ce professeur et le premier engagé défini la couleur des livres à donner pour les joueurs suivants. Le premier joueur à engager ce professeur aura payé en argent pour pouvoir définir les livres requis.
Le plateau personnel du joueur dispose d’un étudiant permettant de charger (jusqu’à 6 fois) son stock et/ou sa bibliothèque en livres de sa couleur. C’est un des cœurs du jeu, car c’est de cette manière que vous ferez tourner l’argent d’un joueur à l’autre (un livre est acheté 2 pièces et revendu entre 2 et 4). Les livres étant nécessaires à tous, il n’est pas rare de voir le joueur vous suivant acheter immédiatement les livres que vous venez de mettre à disposition. Il est toujours possible d’acheter des livres d’une bibliothèque vide pour 4 pièces.
Les étudiants que vous engagez sont de divers coûts (les artistes sont moins chers que les matheux), s’installent alternativement sur la ligne A et B (impact pour les PV en B et pour les livres que l’on peut avoir en main en fin de manche en A) et sont d’une utilité variable selon le moment du jeu (en premier ceux ayant un pouvoir de récolte). Mais surtout ils nécessitent des livres qui dépendent de la piste de recherche. Cette piste annexe, qui demande de payer souvent en argent ou en livre pour grimper, mettra en avant les livres des universités investissant le plus dedans. Un matheux nécessitera par exemple 6 livres : 2 de l’université la plus avancée dans les recherches + 2 d’une université classée II ou III + 2 dictionnaires. Vous comprenez rapidement que le joueur classé en 4ième dans cette piste risque de faire moins de « vente » de ses livres en bibliothèque et donc de rentrer moins d’argent pour ses propres acquisitions (devant lui-même acheter des livres du premier souvent « out of stock »).
Chaque joueur dispose d’un chancelier en début de partie, qui donne des avantages ou revenus supplémentaires. Vous pouvez vous attacher le travail de 3 autres, pour peu que vous atteigniez les objectifs associés. Vu certains de leurs pouvoirs, il peut être intéressant d’essayer d’y avoir accès rapidement.
Le premier ordre du tour est défini après un draft de 4 cartes, proposant des ressources de départ, dont on n’en garde que 3. Comme les cartes ont une valeur (associée aux ressources données), celui ayant la plus petite somme commencera… mais surtout, choisira en premier son chancelier ! Certains donnent clairement l’impression d’être beaucoup plus puissants que d’autres, mais après plusieurs parties j’ai vu des joueurs réussir avec un chancelier qui « avait causé la défaite » d’un joueur précédemment. Comme souvent, c’est aussi une question d’usage avancé du pouvoir de chacun. Je m’attends cependant dans le futur à écouter les doléances de joueurs sur le déséquilibre des chanceliers. Bien que n’ayant pas assez de recul, j’ai envie de faire confiance aux 4 fantastiques pour avoir correctement comparé et dosé leurs chanceliers pour l’équilibre du jeu. 4 créateurs, c’est mieux qu’un seul ! 😊
En fin de partie, les PV sont multiples :
* Selon l’avancée en recherche
* En multipliant les cartes de recherche terminées par le nombre de professeurs
* Selon les bustes (objectifs) des chanceliers récupérés
* Selon les PV d’objectif des étudiants en math.
* En multipliant le nombre d’étudiants en A par ceux en B
* Selon les PV des professeurs
* Plus quelques miettes en dictionnaires, argents et livres.
Le sentiment final d’une partie d’Alma Mater est variable. A votre première partie, ce sera qu’il n’est pas possible de tout faire (voire qu’on ne sait rien faire) et que tel joueur a gagné grâce à son chancelier. 😊 Mais après plusieurs parties, on se rend compte, grâce à notre belle courbe de progression, qu’il n’en est rien. En gérant bien ses maîtres, professeurs et chanceliers, j’ai vu des joueurs terminer la piste des recherches, obtenir tous les objectifs, remplir leur piste d’étudiants, finir avec 5 professeurs. Autant de choses réputées « impossibles » à votre première partie.
La clé d’une telle réussite est vraiment le remplissage de votre bibliothèque et le nombre de joueurs. Alma Mater aura plus de charmes (car plus de livres à disposition) à 4 joueurs qu’à 3 (ou 2), vous permettant de réaliser plus de choses. Pour peu que les joueurs remplissent leur bibliothèque de livres, car s’ils n’en placent pas, vous perdrez du temps et des maîtres sur la zone rouge pour aller quémander de l’argent à l’évêché ! Moins de coups = moins de développement et pour moi = moins de plaisir de combinaison.
Alma Mater est un jeu simple dans ses règles, bien soutenu par l’iconographie, dont on comprend mal pourquoi on a fini par mettre du texte sur les chanceliers (sans cela il était multilingue de base). Mais il prend du temps à expliquer, car vous devrez passer en revue tous les étudiants (fixes d’une partie à l’autre), les professeurs (dont on je joue qu’avec 50 % des options) et des chanceliers (qui sont tirés au sort). Il nécessitera cependant plusieurs parties pour comprendre ses rouages et faire les bons choix. Pour la rejouabilité, il ne manque que d’autres étudiants, et la mini-extension qui vous en propose un choix de plus par faculté est trop peu et aurait dû, à mon sens, être inclus directement dans la boîte de base étant la seule partie fixe d’une partie à l’autre.
Côté timing il faut compter entre 30 (première partie) et 40 (quand on maîtrise) minutes par joueur, ce qui le place du côté des jeux un poil long, mais comme on ne voit pas le temps passer… pour peu que l’on ait bien géré ses ressources. Car si l’on a joué 3 maîtres pour de l’argent et que l’on n’a pas récupéré de maître en plus (à 15 PV, premier objectif atteint ou 5ième étudiant récupéré) alors que les autres en ont 5 ou 6, on doit attendre que les autres aient terminé… et c’est parfois long et frustrant. Il faut compter avec cette courbe de progression pour lisser cela, mais le risque est élevé lorsque vous invitez un nouveau joueur à votre table.
Alma Mater fait partie de ces jeux que l’on joue volontiers, que l’on se remet vite les règles dans l’oreille (pas de petits détails de règles semi-cachés), qui vous tient en haleine et pour lequel vous essayez de couper l’herbe sous le pied du voisin (en toute amitié 😉). On aurait aimé l’avoir immédiatement en français, mais l’anglais (hormis les règles) ne pose aucun problème de plein jeu. Encore une belle réussite et un jeu plaisant pour Acchittocca. Forza Italia ! 😊