Vicomte du Royaume de l’Ouest
Au cinéma un trilogie n’est jamais une chose prévue d’emblée lors de l’enregistrement du premier film, tout au plus cela peut être une option envisagée quand on porte des livres à l’écran. Souvent, on peut dire que le deuxième opus est le moins bon des trois. Mais qu’en est-il dans le monde du jeu de société ? Un auteur planifie-t-il directement plusieurs jeux dans une gamme ou s’efforce-t-il de chercher à trouver une cohérence graphique et scénaristique à ses concepts ludiques ? Le deuxième jeu est-il, avec le recul, le moins bon des 3 ? Ce sera aux joueurs de se prononcer.
Vicomtes du Royaume de l’Ouest est le troisième jeu dans ce monde créé par Shem Philips et S J Macdonald, édité par Garphill Games à l’origine, localisé par la boîte française la plus active actuellement : Pixie Games. C’est toujours l’excellent Mihajlo Dimitrievski qui s’occupe des illustrations avec une certaine cohérence pour le régal de nos yeux.
Vicomte pose son propos à la fin du 10ième siècle, lorsque le roi décline et met la paix au-dessus de la prospérité. Distribuant l’or pour assurer la paix, cela ne plaît pas à tous et la colère du peuple appauvri se fait plus vive. En tant que Vicomte, vous essayez de naviguer entre la loyauté au souverain et le soutien au peuple, afin de vous en tirer qu’importe qui sera le camp qui sera bientôt au pouvoir.
Ainsi la fin du jeu ne survient pas lorsqu’un nombre de tours se sont déroulés, mais lorsque toutes les dettes ou tous les actes de propriété ont été distribués. Ce qui est amusant, c’est qu’un des scorings se fera sur base d’une majorité sur les dettes remboursées ou propriétés améliorées, mais seulement si c’est l’autre tas qui est épuisé (scoring sur les dettes remboursées si toutes les propriétés sont distribuées par exemple). Cela force à aller puiser dans les deux tas pour sauver des PV.
Après avoir choisi un héros et un pack de ressources de départ, chaque joueur placera son vicomte sur un des emplacements du plateau modulable. On jouera chacun son tour toutes les phases de jeu (reprises sur son plateau personnel) avant de passer au suivant. Les actions à réaliser sont :
* Ajouter un personnage sur son plateau de 3 (éventuellement en faisant sortir celui le plus à droite). Si l’on place un crâne (criminel) on gagnera de la corruption.
* Déplacer son vicomte (en suivant les flèches) d’autant de cases que la valeur monétaire de la carte ajoutée (ajout de cases possibles moyennant finance)
* Réaliser une des 4 actions au choix. Dans tous les cas, on compte le nombre de symboles visibles (sur son plateau + cartes spéciales) de l’action choisie + les crânes (des jokers) + l’achat d’une carte personnage près de son vicomte pour ses symboles (et action spéciale).
– Commercer : Le total des symboles + de l’argent contre des ressources spécifiques / or / retourner des cartes.
– Construire : Le total des symboles + de la pierre pour placer un de ses bâtiments sur une case dédiée, pour recevoir la ressource écrasée + éventuellement la ressource de liaison avec le bâtiment voisin. Le bâtiment libéré offrira des PV en fin de jeu et un bonus permanent durant la partie.
– Courtiser : Le total des symboles + de l’or pour envoyer des nobles au château. 3 nobles à un niveau permet à l’un d’eux de monter d’un cran et gagner des bonus. Les déplacements peuvent provoquer des cascades d’actions. En fin de jeu des PV sont à gagner selon le niveau de chaque noble et le majoritaire au sommet du château gagnera un bonus.
– Retranscrire : Le total des symboles + des encriers pour retranscrire un manuscrit qui donne un bonus immédiat ou des conditions de PV de fin de jeu + des PV selon les séries (même couleur ou couleur différentes) de manuscrits récupérés.
* Acheter un nouveau personnage (près du Vicomte) placé dans la défausse + gagner son bonus immédiat
* Vérifier si votre marqueur vertu + corruption se sont rencontrés, activer les actions immédiates et gagner (joueur actif et autres) les cartes associées à leur position.
* Refaire sa main à 3 cartes (voire 4 ou 5).
Vous constaterez que c’est beaucoup à expliquer lors de la première partie et il faudra jouer pas à pas au début. Mais les icônes sont suffisamment claires pour ne pas avoir de réels problèmes durant la partie et vos tours prendront petit à petit de moins en moins de temps d’organisation. Comme toujours avec la gamme de Garphil, vous retrouverez les icônes connues des opus précédents, ce qui facilitera votre prise en main… enfin, si vous avez joué aux précédents ! 😊
Les diverses actions que vous allez faire vont déplacer deux marqueurs : Corruption (noir) et Vertu (Blanc). Une fois l’un sur l’autre, ils bougent conjointement jusqu’à la résolution de leur phase. S’ils se rencontrent du côté corruption (plus de vertu que de corruption donc), vous gagnerez des cartes de propriété (rouge), tandis que du côté vertu, ce sera de nouvelles dettes à rembourser (pour ne pas perdre de PV). C’est principalement par cette rencontre que les cartes des deux paquets qui déterminent la fin de jeu s’épuiseront. Si vous évitez des mouvements des jetons, la partie durera plus longtemps.
Comptez 30 minutes par joueur pour la partie, qui sera très ouverte et avec une grande rejouabilité (héro différent, plateau positionné différemment, arrivée des manuscrits et personnages autrement,…). Les actions sont très intéressantes, bien que l’on constate une différence dans la puissance et l’attrait de certaines. Les manuscrits sont ceux avec le meilleur rendement, le commerce sera de toute façon utile pour récolter les ressources, les constructions faciliteront vos actions et rapporteront moult PV.
Seul le château, pourtant au centre du jeu, semble être le parent faible, sans être totalement sans intérêt. Son problème principal est qu’il est basé sur une accumulation de nobles, hors s’il y en a plus de 3 dans un segment après les promotions (toute couleur confondue), le joueur actif en chassera certains (contre un petit bonus pour le propriétaire chassé). Cela nuit à l’accumulation et comme les autres actions n’ont pas ce conflit, cette contrainte, ils sont plus « safe » sur le jeu et leur investissement en énergie n’est pas perdue. Dommage qu’il n’y ait pas de bonus à récupérer lors des déplacements des nobles sur le premier niveau du château, ce qui le rendrait utile même en cas de conflit.
La récolte des cartes Dette/Propriété est une chose à gérer, car elles doivent être retournée pour être rentable (Dette -2 ou 0 PV / Propriété 1 ou 3 PV) et se comptabiliser en fin de partie dans les majorités. Ce n’est donc pas tout de les accumuler, il faut les faire se retourner. Trois emplacements de constructions permettent de le faire (haro sur leur position !), certaines cartes de personnage ou manuscrits, ainsi qu’une voie dans le château (dirons-nous la seule rentable expliquant quelques coups au château ?).
Si l’on cumule la gestion des cartes, les déplacements du vicomte, l’utilisation / achat des personnages pour leur symbole, les 4 actions types, et que l’on ajoute des actions de réorganisation de son plateau selon certaines conditions, on trouve un jeu très vivant, avec un impact sur les actions des autres joueurs (interaction forte) et peu de conflit direct (juste le château). Cela donne des parties intéressantes et des scorings somme toute assez proche l’un de l’autre, selon les voies choisies plus que sur la chance des tirages. Une bonne combinaison des options.
Il est difficile de ne pas comparer les 3 opus. Artisans était le plus simple d’accès et somme toute au niveau le plus faible (Connaisseur). Paladins était plus cérébral, combinatoire, viscéralement expert, mais où les autres joueurs étaient quotité négligeable (il avait autant de saveur en solo qu’avec des bots humains). Vicomte est complexe au premier abord, mais ce n’est que le temps du premier quart d’heure, pour le reste il nécessite réflexion, projection, interaction, en faisant un jeu expert multijoueur, peut-être le plus intéressant (pour un joueur expert) de la série.
Maintenant que Shem Philips a complété sa trilogie, la question est « va-t-on poursuivre la série ? » ou allons-nous changer de monde. Après le cycle de la Mer du Nord et du Royaumes de l’Ouest, va-t-on partir à l’Est ou au Sud ? L’avenir nous ne dira, mais nous serons au rendez-vous ludique !